L'archipel des hérétiques
personnels, une douzaine de gros canons, plusieurs
kilomètres de cordages et d'autres pièces d'équipement. En hiver, on y gelait,
et sous les tropiques, l'entrepont se transformait en étuve. L'usage des hamacs 26 ,
qui avait commencé à se répandre au siècle précédent, ne s'était pas encore
généralisé et la plupart des matelots dormaient encore sur des paillasses
alignées les unes contre les autres, dans le peu d'espace qu'ils arrivaient à
s'attribuer. Pour couronner le tout, l'entrepont des canons n'était
pratiquement jamais hors d'eau, ce qui empoisonnait jusqu'aux heures de repos
de ces hommes qui travaillaient dehors par tous les temps, et n'avaient pas de
vêtements secs pour se changer.
La seule vue d'un homme d'équipage était une offense pour
le regard délicat des marchands de la poupe et on comprend que les matelots
aient été tenus à l'écart des passagers de marque, dans la mesure du possible.
À une époque où la culotte se portait étroite et sur des bas, leur tenue de
bord -pantalon et chemise amples - distinguait les marins hollandais qui
passaient pour des brutes mal dégrossies, même en leur temps. Mais ceux qui
étaient assez rebelles ou assez désespérés pour aller risquer leur vie sur un indiaman avaient une réputation particulièrement abominable. Les capitaines
des navires marchands ordinaires, et la marine hollandaise elle-même, se
gardaient bien d'engager des matelots ayant servi sur les bâtiments de la VOC.
Pour les marins des indiaman, notait l'un des
passagers, « les jurons, les blasphèmes, la débauche et le meurtre ne sont que
peccadilles. Ces gaillards vous mijotent toujours quelque chose et, si leurs
officiers ne veillaient à faire pleuvoir les châtiments sur eux, leur propre
vie ne serait certes pas en sûreté une seule seconde, au milieu de cette
canaille sans foi ni loi ».
« Les hommes des retourschepen, écrivait un autre
passager, doivent être dressés à coups de baguette de fer, comme des bêtes
sauvages, car, livrés à eux-mêmes, ils seraient prêts à sauter à la gorge du
premier venu, à leur fantaisie et sous n'importe quel prétexte. »
Quoi qu'il en fût, les matelots de la VOC constituaient un
groupe relativement cohérent, soudé par la langue et l'expérience commune. À la
différence des soldats, ils étaient pour la plupart hollandais et partageaient
le dialecte de la mer. Les tâches qui leur incombaient, de la levée de l'ancre
aux manœuvres ordinaires de la navigation, exigeaient une étroite collaboration
et favorisaient la confiance mutuelle. Dans l'ensemble, les matelots étaient
mieux disciplinés et moins rebelles que les soldats.
La masse du grand mât, qui s'enfonçait dans les entrailles
du navire, marquait la limite des quartiers des marins. Là, à la moitié de
l'entrepôt des canons, se trouvaient deux petites cabines. Celle du chirurgien
du bord, et une coquerie aux cloisons tapissées de briques, où s'entassaient
des chaudrons de cuivre. Sur un navire en bois, la coquerie était le seul
endroit où il fut possible de faire du feu. C'est dans ce minuscule réduit que
l'équipe des cuistots du Batavia devait préparer plus d'un millier de
repas par jour. Puis se trouvaient le cabestan et les pompes, et plus loin
encore, les cabines des quartiers-maîtres et du prévôt, entre la réserve de
pain et l'armurerie, juste au-dessous de la Grande Cabine de Pelsaert.
Mais pour les occupants de l'entrepont des canons, les
poutres qui les séparaient des privilégiés de la poupe étaient plus qu'une
barrière physique. Elles protégeaient les marchands des travailleurs manuels,
et les officiers des hommes de troupe. Sur la plupart des indiaman, cette précaution s'était révélée nécessaire, mais sur le Batavia, elle
brilla par son inefficacité.
Les Dix-sept avaient initialement décrété que le
responsable de la flotte, le président Specx, dirigerait l'ensemble de la
flotte d'hiver. Le convoi était d'une importance considérable, puisqu'il
regroupait dix-huit bâtiments. Le Batavia devait se joindre à eux, sous
la direction de Pelsaert, dont la responsabilité se limiterait au navire qu'il
dirigeait. Mais vers la fin du mois, contre toute attente, Specx fut rappelé à
Amsterdam pour quelque affaire et, comme les conditions météorologiques
menaçaient de se détériorer, la VOC prit la décision, tout à fait
exceptionnelle, de scinder la flotte. Dix navires attendraient le président
Specx, et
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