L'archipel des hérétiques
plus haut grade
de la Jan Compagnie. Quant au second d'Ariaen Jacobsz, le maître timonier Claes
Gerritsz, il dut en avoir une autre, tout comme ses deux seconds (dont le grade
équivalait à peu près au grade actuel de lieutenant), le prévôt, qui était
responsable de la discipline à bord, et les premiers commis de la VOC.
Mais, durant ce voyage, le Batavia emportait à son
bord d'autres personnes de haut rang, dont la présence bouleversait l'étiquette
ordinaire. L'un était un pasteur calviniste du nom de Gijsbert Bastiaensz,
citoyen de la bonne ville de Dordrecht, qui se rendait aux Indes avec sa femme,
une servante et ses sept enfants 5 . L'autre était une certaine
Lucretia Jans-dochter, une jeune dame de bonne famille et d'une exceptionnelle
beauté, originaire d'Amsterdam, qui allait rejoindre son époux en Orient. Ils
furent probablement logés dans des cabines voisines de celle de Jeronimus. Dans
l'espace confiné de la poupe, ces trois personnes n'auraient pu éviter de se
côtoyer et de faire connaissance.
On devine sans peine dans quel sens allèrent les
préférences de Jeronimus. Outre sa jeunesse et sa beauté, Creesje 6 (car on l'appelait généralement par son diminutif) était issue d'une riche
famille de marchands, ce qui lui conférait un statut au moins égal à celui de
Cornelisz. En revanche, et à plus d'un titre, Gijsbert Bastiaensz était
l'opposé absolu de Jeronimus. Il venait de la partie la plus méridionale de la
province de Hollande. Âgé de cinquante-deux ans, c'était un pasteur calviniste
des plus rigoureux, mais peu cultivé et presque dénué de manières. Dans les
rares écrits qu'il nous a laissés 7 , on chercherait vainement la
moindre trace d'esprit ou de curiosité intellectuelle. Ses conceptions
théologiques ne laissaient aucune place aux spéculations exotiques
qu'affectionnait l'intendant adjoint et, si Jeronimus avait eu la témérité de
lui exposer franchement ses vues, l'austère ministre du culte en aurait été
scandalisé. De fait, Cornelisz se garda bien de lui faire part de ses
convictions et eut le bon sens d'amadouer le pasteur, plutôt que de l'attaquer
de front. Dans des circonstances normales, un pasteur issu d'une ville aussi
orthodoxe que Dordrecht 8 n'aurait jamais eu l'occasion de croiser
une créature telle que Cornelisz, mais il était tout comme lui au bord de la
ruine, et c'est la menace de la misère qui le forçait à partir pour l'Orient,
en quête du salut et de la fortune 9 .
Jusque-là, le pasteur avait dû mener une vie relativement
confortable. Son père, Bastiaensz Gijs-brechtsz 10 , était meunier. Et
Gijsbert lui avait succédé dans ce qui semble avoir été une affaire de famille
des plus prospères. En février 1604, il avait épousé Maria Schepens 11 ,
dont il avait eu de nom-breux enfants, conformément aux mœurs de l'époque -
huit au total, quatre garçons et quatre filles, dont sept avaient survécu.
Cette proportion, remarquablement élevée, au vu de l'espérance de vie des
nourrissons de l'époque, laisse penser qu'au moins pendant les deux premières
décennies du xvn e siècle, les affaires de Bastiaensz furent
florissantes.
En atteignant l'âge de trente-cinq ans, le pasteur-meunier
avait été admis parmi les honorables membres du conseil de l'Église réformée de
Dor-drecht. Entre 1607 et 1629, Gijsbert Bastiaensz y siégea pendant non moins
de cinq mandats consécutifs de deux ans. Ce brillant palmarès nous laisse
penser qu'il comptait parmi les ministres les plus respectés et les plus
strictement orthodoxes de la ville. D'autres indices viennent à l'appui de
cette hypothèse, dans les archives juridiques de Dor-drecht, où le pasteur est
désigné comme arbitre, exécuteur ou témoin, faisant autorité dans de multiples
affaires. Ces fonctions n'étaient confiées qu'à des hommes bénéficiant de l'estime
et de la confiance générale - des personnalités locales au-dessus de tout
soupçon.
Le moulin que le pasteur dirigea pendant un quart de
siècle était pourtant de taille modeste. Il était actionné par des chevaux, et
non par le vent, comme les nouveaux moulins, plus productifs, qui commençaient
à se répandre dans tous les Pays-Bas. Dans la période de dépression des années
1620, les propriétaires des anciens rosmolen se trouvèrent confrontés à
de graves problèmes financiers, tandis que les meuniers équipés de moulins à
vent, qui produisaient plus de farine, plus vite et à meilleur
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