L'archipel des hérétiques
combinaison de dilemmes et de contraintes. Le surcroît de
responsabilités qu'il devait à présent assumer était d'autant plus écrasant que
ce fardeau lui était tombé dessus de façon inopinée, sans lui laisser le temps
de s'y préparer. Néanmoins, même les plus chevronnés des commandeurs de
flotte avaient relativement peu de contrôle sur les vaisseaux qu'ils
dirigeaient. Les navires pouvaient attendre des semaines à quai, faute d'un
vent favorable, et l'ordre d'appareiller, quand il était enfin donné, pouvait
engendrer le chaos, lorsque les énormes retourschepen , massifs et peu
maniables, devaient manœuvrer dans les étroites limites d'une rade. Les
collisions n'étaient pas rares et, en dépit des monumentales lanternes qu'on
allumait à la poupe de chaque bâtiment pour que les timoniers puissent les
repérer dans la nuit, les convois se trouvaient généralement dispersés avant
d'arriver en mer des Indes. Pour ce qui est de la flotte de Pelsaert, elle le
fut avant même d'avoir quitté le Zuyder Zee. Le Batavia resta en
arrière, tandis que les sept autres bâtiments - six navires marchands et l'escorteur Buren, un navire de guerre -, prenaient la mer, le 28 octobre 1629. Le
vaisseau amiral du nouveau commandeur dut attendre le lendemain pour
appareiller, probablement à cause d'un problème lors du chargement de la
cargaison de l'argent et des denrées destinées aux échanges. Mais, quelles que
fussent les raisons de ce retard, les passagers et l'équipage du Batavia ne tardèrent pas à regretter d'être restés en arrière.
Le premier jour de mer, à peine avaient-ils quitté la côte
hollandaise, qu'ils se trouvèrent pris dans un véritable ouragan. L'équipage
était encore vert, et n'avait pas eu le temps de s'aguerrir à la manœuvre.
Avant même que les hommes n'aient pu prendre le navire en main, le Batavia se trouva à proximité des dangereux hauts-fonds des Walcheren, bloqué par les
bancs de sable et battu par les fortes vagues qui se succèdent rapidement, dans
ce passage dangereux. La vie de tous ses occupants, du subrécargue au dernier
des matelots, était gravement menacée.
Les tempêtes étaient les pires des périls que pût redouter
un indiaman et l'échouage était la plus grosse catastrophe qui pût
survenir au cours d'un orage. Y compris au large, des vagues énormes pouvaient
submerger le vaisseau ou enfoncer ses flancs, ou lui faire donner de la bande
jusqu'à ce que ses mâts se couchent et que ses voiles se remplissent d'eau,
entraînant tout le navire. Mais, une fois le bâtiment échoué, les vagues
risquaient de l'éventrer et, si elles étaient assez puissantes pour faire
basculer le ballast, le poids des canons, de la mâture et des gréements
suffisait à le faire sombrer.
Bien que situés à quelques dizaines de kilomètres des
côtes de la République de Hollande, les bancs de Walcheren étaient un obstacle
particulièrement redoutable puisqu'ils coûtèrent à la VOC un sur cinq des
navires qui disparurent entre Amsterdam et les Indes. Le Batavia était
en grand péril, et il fallut toute la maestria d'Ariaen Jacobsz pour le tirer
de ce mauvais pas. Le capitaine harcela ses hommes et les encouragea tant et si
bien que la voilure fut réduite à temps, et l'arrimage du ballast rectifié.
Jacobsz parvint ainsi à sauver le Batavia et à le préserver de tout
dommage, jusqu'à ce que les vents se soient calmés. Puis il le remit à flot à
la faveur de la marée montante. Un examen minutieux confirma que la coque
n'avait pas subi de dommages irréparables et, le 30 octobre au matin, le Batavia put reprendre sa route.
Pelsaert avait désormais le choix entre deux itinéraires
possibles. Le plus sûr était de mettre le cap au nord et de contourner les
côtes écossaises, puis de rejoindre l'Atlantique à l'ouest de l'Irlande. Cette
route lui permettait de rester hors d'atteinte des vaisseaux espagnols qui
auraient volontiers coulé ou capturé le Batavia. Mais ce détour par le
nord entraînait un supplément de plus de mille kilomètres - l'équivalent d'un
mois de mer. L'autre option consistait à descendre la Manche. Cet itinéraire,
pour être le plus direct, était aussi et de loin le plus périlleux, car la
Manche était infestée de corsaires à la solde des Espagnols, qui opéraient
depuis le port de Dunkerque.
Les redoutables Dunkerquois étaient des pirates de la pire
espèce. Ils s'attaquaient à tout navire non escorté passant à leur
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