L'archipel des hérétiques
sud de l'équateur, un continent colossal qui ceinturait le monde et,
dans nombre de cas, reliait l'Afrique et l'Amérique du Sud à la Chine 50 .
Au cours du xv e et du xvi e siècle, comme les Portugais et les Espagnols
sillonnaient les mers du sud, on commença à soupçonner que la Terre Australe ne
pouvait être aussi vaste qu'on l'avait d'abord sup-posé. Les navires qui
croisaient au large du cap de Bonne-Espérance et du cap Horn ne l'avaient
jamais aperçue. Ils faisaient route vers le nord-ouest en traversant le
Pacifique, ou vers l'est, dans l'océan Indien, sans trouver la moindre trace du
mystérieux continent. A l'époque où la VOC fut fondée, le seul emplacement qui
restât inexploré, et où l'on pût encore le situer, était ce grand vide qui
s'étendait au sud des Indes, et à l'ouest des Amériques.
Les cartes et les mappemondes de l'époque continuent à
faire état de la présence d'une Terre Australe dans cette région. Au fil des
années, des éléments imaginaires se glissèrent dans les descriptions de la
Terre Australe et, au xvf siècle, des interprétations erronées des travaux de
Marco Polo 51 aboutirent à l'addition, sur les cartes du continent
austral, de trois provinces n'ayant aucune existence réelle. La plus grande
était Beach, qui apparaît sur de nombreuses cartes avec l'alléchante
appellation de Provincia Aurifera, terre aurifère. C'est d'ailleurs sous
ce nom que bien des marins faisaient référence à la Terre Australe dans son
ensemble. Les deux autres provinces fictives avaient été baptisées Maletur
(« sca-tens aromatibus » - terre où abondent les épices) et Lucach 52 , dont on a raconté jusqu'en 1601 qu'elle avait reçu une ambassade de Java. La
plupart des Européens croyaient dur comme fer, et sans la moindre preuve, en
l'existence de ces trois provinces. En 1545, les Espagnols avaient même nommé
un gouverneur pour Beach, un certain Pedro Sancho de la Hoz, qui était l'un des
conquistadors du Chili. Les Hollandais, pourtant plus pragmatiques, ne
rejetaient pas totalement cette hypothèse, car leurs navires rencontraient
parfois, à l'improviste, une côte qu'ils considéraient comme appartenant à la Terra Australis.
Dans les premières années d'existence de la VOC, les
marins de la Compagnie s'en tenaient généralement aux voies maritimes ouvertes
par les Portugais 53 . Après le cap de Bonne-Espérance, ils
remontaient vers le nord en longeant les côtes africaines jusqu'à Madagascar,
puis obliquaient vers le nord-est et traversaient l'océan Indien en direction
des Indes. Mais cet itinéraire n'était pas dénué d'inconvénients. Pendant tout
le voyage, la chaleur était accablante. Les Portugais n'étaient pas très
accueillants et la route était semée d'écueils et de hauts-fonds. Après le
passage du Cap, il fallait composer avec des courants et des vents contraires
qui ralentissaient considérablement la progression des navires. Les voyages de
seize mois n'étaient pas rares - sans compter les cyclones et les ouragans qui
engloutirent de nombreux navires. Si les Hollandais continuaient à suivre cet itinéraire,
malgré ces multiples désavantages, c'était parce qu'ils n'avaient pas de
meilleure solution.
Jusqu'en 1610, année où Henrik Brouwer 54 , un
officier supérieur de la VOC, découvrit un autre passage, nettement au sud des
voies maritimes habituelles 55 . Au lieu de remonter le long de la
côte, après Le Cap, il avait continué plein sud, jusqu'à la limite nord des
Quarantièmes Rugissants, et avait rencontré dans cette zone une ceinture de
forts vents d'ouest très constants qui portèrent ses navires en direction des
Indes. Lorsque Brouwer estima avoir atteint la longitude du détroit de la
Sonde, qui sépare Java de
Sumatra, il remit le cap au nord et jeta l'ancre dans le
port de Bantam, au terme de seulement cinq mois et vingt-quatre jours de mer.
Il s'était épargné plus de trois mille deux cents kilomètres de trajet, avait
évité les Portugais et, ayant divisé par deux le temps nécessaire au trajet, il
accosta à Java avec un équipage en pleine forme.
Les Dix-sept n'en revenaient pas. Accélérer les voyages,
c'était augmenter d'autant les bénéfices et, à partir de 1616, tous les navires
hollandais se virent intimer l'ordre d'emprunter cette nouvelle voie,
découverte par Brouwer. Cet itinéraire était en tout point préférable à
l'autre, et de très loin - à condition toutefois que les maîtres de
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