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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mike Dash
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en vue d'une côte sablonneuse de la Terre
Australe. Le Dordrecht mit immédiatement le cap à l'ouest et regagna le
large, puis il poursuivit sa route en direction du nord pendant huit jours de
plus, jusqu'à ce que Houtman rencontre les Abrolhos, à un emplacement où ses
cartes n'indiquaient que la pleine mer. Les abords de ces îles étaient semés
d'écueils dangereux, et il ne prit pas le risque d'en faire un relevé
exhaustif. Il se contenta d'en esquisser les contours sur ses cartes. En 1624,
ces récifs furent repérés par la Tortelduif (la « Tourterelle »), mais
le capitaine de ce navire ne transmit l'information qu'à de rares personnes.
    Comme aucun autre bâtiment n'était venu croiser à proximité
des Abrolhos avant 1629, Ariaen Jacobsz ignorait peut-être jusqu'à leur
existence -et, s'il en avait eu vent, il n'avait qu'une vague idée de leur
position réelle. Aucune carte ne lui indiquait qu'elles constituaient trois
groupes, approximativement alignés du nord au sud. Aucun manuel ne spécifiait
que la plus grande de ces îles était si plate et si basse sur l'eau que
l'archipel devenait quasi invisible à partir d'une certaine distance, ni qu'il
s'étendait sur près d'un degré de latitude, droit sur la trajectoire du Batavia.
    Et le flair de Jacobsz ne lui souffla pas qu'il eût été
sage de réduire sa voilure pendant la nuit, et de ne s'aventurer dans les
parages qu'avec la plus extrême vigilance, même en plein jour.
    C'est donc à pleine vitesse que le Batavia se
précipita sur les récifs.
    5. Le tigre
    « On ne peut m'accuser de tout ce qui a été commis. »
    Jeronimus Cornelisz.
    C'était comme s'ils étaient venus s'échouer aux confins du
monde.
    De nos jours encore, par temps couvert, l'archipel des
Abrolhos est d'un gris uniformément terne -sous un ciel dont la couleur semble
avoir déteint sur les îles. On les croirait immergées par trente mètres de
fond, comme si la lumière plombée qu'elles nous renvoient avait dû traverser
une muraille liquide pour nous parvenir. La végétation rabougrie, privée de
soleil, a pris le jaune grisâtre des vieux journaux. Les nuages et la mer
elle-même sont d'une grisaille maussade, parsemée çà et là de quelques
paillettes de quartz. Le vent est le seul élément qui paraisse avoir gardé
quelque vitalité. Il souffle ses bourrasques depuis les Quarantièmes
Rugissants, pendant tout l'hiver austral, sans discontinuer et avec une telle
furie que même les buissons nains s'inclinent sous ses rafales. Il fait claquer
les voiles et s'engouffre en sifflant dans les brèches des coraux.
    De mai à juillet, les îles sont constamment balayées par
des orages. Les tempêtes peuvent s'acharner sur elles dix jours d'affilée.
Elles soulèvent d'énormes vagues qui viennent s'écraser contre les récifs et broient
tout sur leur passage, projetant leurs embruns à dix ou quinze mètres de
hauteur. Les oiseaux marins renoncent à voler dans ces rafales, qui peuvent
atteindre les cent trente kilomètres/heure, et couperaient le souffle à tout
être humain. Elles sont d'autant plus redoutables que les îles n'offrent
pratiquement aucun refuge naturel. Sur le Cimetière du Batavia , on ne
trouve qu'une petite cuvette, située sur le rivage nord-est, qui puisse offrir
un semblant d'abri contre les éléments déchaînés.
    Les températures, torrides en été, s'adoucissent pendant
l'hiver, la saison des pluies. De juin à août, il tombe environ dix centimètres
d'eau par mois, mais à partir de septembre, ce chiffre descend à moins de trois
centimètres par mois. Mais, même pendant la saison des pluies, l'eau ne
parvient à former que quelques flaques sur le sol. Elle filtre aussitôt à
travers le corail et va se perdre dans la mer, laissant la plus grande partie
des deux cents îles de l'archipel dans un état d'aridité quasi désertique 1 .
    C'est précisément le cas du Cimetière du Batavia, qui
se trouve dans la partie septentrionale de l'archipel. Cette langue de débris
de corail de forme vaguement triangulaire, mesurant cinq cents mètres sur moins
de trois cents, s'étire presque exactement dans l'axe nord-sud, sur un côté, le
long du chenal d'eau profonde découvert par Ariaen Jacobsz, le matin du
naufrage. De là, le terrain va en s'étrécissant, pour former une pointe
orientée sud-est. L'île est pratiquement dépourvue d'accidents naturels. Elle s'étend
presque à fleur d'eau, plate comme la main. Trois minutes suffisent pour

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