L'archipel des hérétiques
difficultés que rencontrait la VOC, comme la Compagnie
anglaise des Indes orientales, pour déterminer la position précise de leurs
navires avaient pour origine le problème de navigation 61 le plus
insoluble de l'époque : l'impossibilité où l'on était de calculer les
longitudes en pleine mer. La latitude 62 - c'est-à-dire la position
du navire par rapport à l'équateur - peut se calculer aisément, en mesurant
l'angle du soleil à son zénith au-dessus de l'horizon, mais la longitude pose
un problème bien plus épineux. Remarquons d'abord que le méridien d'origine est
une pure convention. Dans les années 1620, les Hollandais mesuraient la
longitude ouest ou est en prenant comme point d'origine le pic le plus élevé du
Tenerife 63 - mais, quel que soit le méridien arbitrairement choisi,
le soleil le surplombe à la verticale une fois toutes les vingt-quatre heures,
décrivant les 360° du globe en l'espace d'une journée. Ce qui fait qu'en une
heure il « survole » 15° de longitude. La position longitudinale d'un navire
peut donc se calculer en comparant l'heure qu'il est à un endroit convenu - le
port d'attache, par exemple - à l'heure locale, indiquée par le soleil en
pleine mer. Pour effectuer ce calcul avec une précision suffisante, il fallut
attendre l'apparition des chronomètres fiables, au cours de la seconde moitié
du xvm e siècle. En 1629, pour mesurer le passage du temps, Ariaen
Jacobsz et ses assistants ne disposaient que de sabliers qui n'offraient pas la
précision nécessaire à un calcul efficace de la longitude.
Faute de pouvoir déterminer précisément leurs coordonnées
est-ouest, les marins hollandais naviguaient plus ou moins au jugé. Ils
estimaient leur position d'après la couleur de l'eau, l'aspect des algues et
les oiseaux qui tournoyaient autour d'eux. En pleine mer, le seul moyen de
suivre la progression d'un bateau sur les cartes consistait à calculer
approximativement la distance parcourue depuis sa dernière escale. Pour évaluer
la vitesse de leurs navires, les Hollandais avaient recours à la méthode du log 64 - ce qui, au xvn e siècle, signifiait
littéralement jeter un morceau de bois à la mer, pour chronométrer le temps
écoulé pendant son passage entre deux entailles pratiquées dans le plat-bord. A
partir de cette estimation de leur vitesse, ils calculaient leur position
approximative.
La technique du log n'offrait aucune garantie. Pour
chronométrer la progression du morceau de bois le long de la coque, on avait
recours à un sablier de trente secondes, ou au pouls humain. Mais, quoi qu'il
en fût, ce calcul ne pouvait tenir compte des effets des courants dominants.
Déterminer la position réelle d'un navire était donc rigoureusement impossible
et les erreurs de huit cents kilomètres, voire davantage, n'avaient rien
d'exceptionnel. Rétrospectivement, on s'étonne même qu'il n'y ait pas eu
davantage d'accidents, le long des côtes australiennes 65 .
Comme ils entamaient la dernière phase de leur long
périple, Jacobsz et ses timoniers s'en remettaient à leur flair, à leur
expérience et à leur intuition pour éviter les rivages de la Terre Australe.
Les cartes 66 dont ils disposaient à bord ne leur étaient, au mieux,
que d'une utilité relative. La plus récente, datant de l'été 1628, n'indiquait
que certaines portions de côte fragmentaires et les quelques îles que les
Hollandais avaient rencontrées, çà et là, jusqu'à une centaine de kilomètres
des côtes. Les navigateurs ne prenaient probablement pas la peine de les
consulter. Au début du mois de juin, ceux du Batavia pensaient qu'il
s'écoulerait au moins une semaine, avant que leur bâtiment n'arrive en vue de
la Terre Australe.
En fait, ils étaient déjà sur un obstacle mortellement
dangereux. En 1619, le subrécargue Frederick de Houtman 67 (le propre
frère du Houtman qui avait dirigé le voyage de YEerste Schipwaart vers
l'Orient, en 1595), s'était heurté à une chaîne d'îlots et de brisants, à
laquelle il avait laissé son nom - les Abrolhos de Houtman 68 . Ces
récifs constituaient le principal obstacle pour les navires hollandais
remontant vers le nord, le long des côtes australiennes. De Houtman naviguait
entre Le Cap et Java, à bord du Dordrecht (le même indiaman ,
incidemment, que celui qui faisait à présent partie de la flotte de Pelsaert),
lorsque, à sa grande surprise et après seulement six semaines de voyage depuis
la baie de la Table, il arriva
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