L'archipel des hérétiques
bord
puissent calculer précisément leur position et s'orienter efficacement. Mais la
puissance des vents et des courants de l'océan Austral les poussait souvent à
sous-estimer leur progression vers l'est. Quand c'était le cas, le navire
dépassait le point où il aurait dû remonter vers le nord et cinglait droit sur
les côtes dangereuses de l'Australie occidentale.
Plusieurs frôlèrent ainsi la catastrophe. En 1616, Y
indiaman Eendracht 56 se heurta inopinément à la Terra
Australis, après un trajet particulièrement rapide depuis Le Cap, et
obliqua vers le nord en longeant la côte australienne sur quelques centaines de
milles. Les cartes établies par ses officiers furent incorporées aux manuels de
navigation de la VOC, qui firent désormais état de l'existence d'une fraction
de la côte australienne, baptisée YEendrachts-land. A l'époque, rien ne
permettait de déterminer si cette nouvelle côte était bien la Terre Australe
elle-même, ou une île de dimensions plus modestes.
Mais, quoi qu'il en fut, il s'écoula de longs mois avant
que la nouvelle de cette découverte parvienne aux oreilles des autres
capitaines et, deux ans plus tard, lorsqu'un autre bateau - le Zeewolf 5 ' (le « Loup de Mer ») - croisa ce qui était probablement le cap Nord-Ouest, son
capitaine s'en alarma : « Nous n'avons jamais entendu parler de cette
découverte, et à cet emplacement les cartes n'indiquent rien que le grand
large. »
UEendracht et le Zeewolf avaient eu la bonne
fortune de frôler la côte en plein jour et par temps calme, mais de nuit et
poussé par un fort vent arrière, un gros indiaman risquait fort de se
trouver précipité contre le rivage avant même d'avoir pu manœuvrer pour changer
de cap 58 . Quelques mois à peine avant que le Batavia n'arrive
dans les eaux australiennes, un autre bâtiment hollandais, le Vianen 59 (qui tenait son nom d'un fief du sud des Pays-Bas), était effectivement venu
s'échouer sur un banc de sable au large de la côte nord-ouest de l'Australie.
Le capitaine avait précipitamment délesté son navire d'une précieuse cargaison
de cuivre et de poivre pour pouvoir reprendre la mer.
En toute logique, on pouvait donc s'attendre à ce qu'un
navire finisse par venir s'échouer quelque part le long de la côte
australienne. En l'occurrence, ce fut la Compagnie anglaise des Indes
orientales qui y laissa un de ses bâtiments - le Tryall 60 . En
1621, elle avait imposé à tous ses navires de prendre le nouvel itinéraire des
Hollandais, sans avoir bien mesuré ses dangers et sans pouvoir accéder aux
cartes, toutes lacunaires, dont disposaient les marins de la VOC. Le 25 mai
1623, peu avant minuit, cet indiaman qui avait appareillé de Plymouth
sous le commandement de John Brookes, heurta un écueil immergé, quelque part au
large du cap Nord-Ouest.
C'était la répétition générale du désastre du Batavia. Tandis que la coque se remplissait d'eau, Brookes jeta sa sonde et enregistra
moins de sept mètres de fond sous la poupe. Comprenant que son navire était
perdu, il employa les deux heures qui suivirent à entasser dans une chaloupe
autant que possible des « colifichets » de son employeur, et à 4 heures du
matin, « tel Judas prenant la fuite », selon les propres termes de son second,
Thomas Bright, le capitaine du Tryall, « embarqua discrètement dans la
chaloupe, avec seulement neuf hommes et son fils, et sans vergogne mit aussitôt
le cap sur le détroit de la Sonde ».
Il était grand temps. Une demi-heure plus tard, la coque
s'ouvrit sous la poussée des vagues et, malgré les efforts de Bright, qui
réussit à mettre la grande chaloupe à la mer et à sauver trente-six membres de
l'équipage, une centaine de marins disparurent dans le naufrage.
Brookes et Bright parvinrent séparément à rejoindre Java.
Là-bas, le second écrivit une lettre désabusée, où il accusait son supérieur
d'avoir abandonné ses hommes, après s'être approprié les biens de la Compagnie.
Quant au capitaine, il rédigea un rapport mensonger où il prétendait avoir
scrupuleusement suivi l'itinéraire prévu, alors qu'il s'était laissé déporter à
l'est de la voie maritime normale de plusieurs centaines de kilomètres. Outre
qu'elle avait entraîné la perte de son bateau, son erreur eut du moins le
mérite d'attirer l'attention sur les dan-gers méconnus des côtes australiennes
- mise en garde que la Jan Compagnie aurait été bien inspirée de prendre au
sérieux.
Les
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