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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mike Dash
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plus ».
    Comme le Batavia abordait les eaux tumultueuses des
Quarantièmes Rugissants, aux confins du monde, la fièvre du subrécargue
s'atténua. Dut-il sa guérison aux prescriptions inspirées de Jansz, ou
simplement à la robustesse de sa constitution 30 ? Ce serait
difficile à dire, mais, quoi qu'il en fût, après trois semaines passées au fond
de son lit, et à la grande consternation des mutins, Francisco Pelsaert fut
bientôt remis sur pied et reprit son poste sur le pont.
    En l'absence du commandeur , Ariaen Jacobsz ne
s'était pas ennuyé. Depuis près d'un mois, il régnait en maître incontesté sur
le navire et son arrogance avait augmenté en proportion. Il avait publiquement
affiché sa liaison avec Zwaantie, et avait rabaissé le caquet à tous ceux que
leur idylle faisait ricaner. Il s'était tellement entiché de cette fille et de
sa sensualité débordante, qu'il avait juré, comme l'apprit plus tard Pelsaert,
que « si quiconque s'avisait de faire ne fut-ce que grise mine à la dénommée
Zwaantie, il ne laisserait pas cet affront impuni, et ce, sans la moindre
considération pour son rang ou le prestige de sa fonction 31 ».
    Car Jacobsz était un protecteur puissant et on comprend
que la servante ait « accepté très volontiers toutes les caresses du capitaine,
sans jamais rien lui refuser, et quoi qu'il lui demande 32 ». Néanmoins,
Ariaen hésita à prendre des engagements définitifs avec elle, ou y renonça. Au
sud du Cap, lorsque la fréquence de leurs ébats poussa Zwaantie à soupçonner
qu'elle était enceinte 33 , le capitaine opta pour la politique de
l'autruche. Il lui demanda de passer une soirée avec son ami Allert Janssen.
Après les avoir fait boire, il laissa Zwaantie seule avec Janssen « qui est
parvenu à ses fins avec elle, parce que Jacobsz, pensant qu'elle portait un
enfant, avait résolu de lui faire épouser Allert 34 ».
    La servante ne parut pas s'en formaliser outre mesure,
mais le capitaine ne tarda pas à regretter sa compagnie - d'autant plus que la
prétendue grossesse n'était apparemment qu'une fausse alerte. Quelques jours
plus tard, ils étaient réconciliés. Leurs relations avaient cependant évolué
car, à présent, Ariaen se risquait à faire à sa maîtresse de dangereuses
promesses. Convaincu que Pelsaert avait un pied dans la tombe, « il s'empressa,
comme le rapportent les archives du voyage, de la dégager de ses fonctions de
servante, en lui promettant qu'elle verrait sous peu disparaître sa maîtresse
et les autres, et qu'il ferait d'elle une grande dame 35 ». La
guérison de Pelsaert fut donc une cruelle déconvenue, pour le capitaine comme
pour Zwaantie. Jacobsz se résigna à passer aux actes, disant : « Je suis
toujours du côté du diable. Si je vais aux Indes, quoi qu'il advienne, j'en
serai pour mes frais 36 . »
    On était le 13 mai 37 . Jusque-là, Jeronimus
avait été si fermement persuadé que le commandeur était à l'article de la
mort que, pendant la majeure partie du mois, ni lui ni Jacobsz ne s'étaient
donné la peine de recruter d'autres mutins parmi l'équipage. La guérison
imprévue de Pelsaert les contraignit à revoir leurs plans de toute urgence. A
présent, s'ils voulaient réussir, les deux complices avaient besoin de doubler
le nombre des hommes sur lesquels ils pouvaient compter. Ils avaient déjà
enrôlé leurs proches, ainsi que les hommes de confiance de Jan Evertsz et de
Jacob Pietersz. Tenter d'en sonder d'autres, à qui ils n'étaient pas sûrs de
pouvoir se fier, présentait un certain risque. Le mieux, décidèrent-ils, était
de monter l'ensemble de l'équipage contre le commandeur.
    Ils choisirent comme instrument de leur complot
l'inaccessible Lucretia Jans, dont ils savaient qu'elle inspirait à Pelsaert
des sentiments aussi fervents qu'au capitaine, et ourdirent contre elle une
agression commise par des hommes d'équipage masqués. En cachant l'identité des
agresseurs, ils espéraient provoquer la colère du subrécargue et le pousser à
prendre des mesures punitives collectives qui, étant manifestement
disproportionnées et injustes pour la majorité de l'équipage, leur fourniraient
un excellent prétexte pour convaincre une plus forte proportion des hommes de
soutenir leur mutinerie.
    « Le capitaine et Jeronimus, note Pelsaert dans son
journal, avec l'assentiment de Zwaantie et en sa présence, imaginèrent après de
longues discussions l'offense la plus humiliante qu'ils pourraient

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