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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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d’une seule sandale.
    « Pélias le chargea d’accomplir une entreprise jugée impossible et mortelle : rapporter la toison d’un bélier magique et gigantesque, une toison d’or considérée comme le plus puissant talisman de la terre. Cet objet précieux se trouvait en Colchide, à l’extrémité orientale du monde, sous la garde d’un énorme dragon qui soufflait des flammes.
    « Jason accepta ce défi. Il rassembla les grands héros de la Grèce, construisit le premier bateau de l’histoire dans un immense pin du mont Pélion et leva l’ancre. Parvenu en Colchide, il se présenta au roi et lui demanda son aide. Il séduisit la princesse, la sublime Médée, et celle-ci lui confia les secrets qui lui permettraient de vaincre le dragon et de rentrer chez lui.
    « Jason rapporta la Toison d’or, il monta sur le trône et épousa Médée.
    — Comment se termine cette histoire ?
    — Leur union se changea en cauchemar et se conclut dans le sang.
    — C’est étrange, toutes vos histoires se terminent mal.
    — C’est parce qu’elles ressemblent à la réalité. Dans la réalité, les conclusions heureuses sont rares. »
    Mon sang se glaça : notre union s’achèverait-elle comme celle de Jason et Médée ?
    Xéno poursuivit son récit :
    « Plusieurs siècles s’écoulèrent. D’autres Grecs abordèrent la terre de Médée et fondèrent à l’embouchure de ce fleuve une ville à laquelle ils donnèrent le même nom : Phase. Je sais exactement où elle se trouve, le long de la côte du Pont-Euxin, sur une terre riche et fertile. Si nous suivons son cours, ce fleuve nous y conduira, et nos souffrances prendront fin.
    — Que ferons-nous, une fois arrivés à Phase ? »
    Xéno soupira. « Nous ne savons même pas si nous serons en vie demain, et tu me demandes ce que nous ferons ? Essayons de survivre, Abira, nous penserons au reste quand le moment viendra. »
    Soudain, la vision sereine de notre futur proche s’obscurcit comme le ciel que nous avions sur la tête. Le silence m’oppressait et je tentai de renouer les fils de la conversation.
    « Que pense Sophos de ton idée ?
    — Il l’approuve. Il est prêt à m’appuyer de toutes les manières possibles.
    — Et les autres ?
    — Tu poses trop de questions.
    — Et les autres ? »
    Xéno hésita puis finit par répondre : « Ils y sont opposés. Tous. Nous avons eu une discussion animée, presque une querelle. Glous, que je n’avais pas vu depuis une éternité, s’en est mêlé, et il est lui aussi contraire à cette idée. Mais j’ai tenu bon et j’ai obtenu l’appui de Cheirisophos. Nous irons là où nous le disons. Tous les fleuves vont à la mer, et celui-ci va à notre mer.
    — Que les dieux t’écoutent. » J’en restai là : je n’étais pas convaincue par son projet.
    Nous nous mîmes en marche le lendemain, mais sans enthousiasme ni détermination. Xanthi, Timasion, Agasias et Cléanor s’étaient sans doute entretenus avec leurs officiers subalternes, et ceux-ci avaient dû informer leurs soldats. On marcherait vers l’est, ce qui était, tout le monde le savait, la direction de l’Empire perse. Or nous ne l’avions peut-être jamais quitté, nous nous trouvions peut-être encore sur le territoire du Grand Roi. Peut-être toute la terre, à l’exception de celle des Grecs, appartenait-elle au Grand Roi.
    Un soir, nous parvînmes au pied d’une hauteur occupée par quantité de guerriers qui nous barraient le passage. Nous étions une fois de plus confrontés à la même situation. Sur cette terre vallonnée, chaque vallée constituait un territoire clos, une petite patrie à défendre bec et ongles – pour nous, à enlever à tout prix. Combien de cols nous séparaient encore de la mer ? Combien de passages à conquérir ? Combien de villages à piller ? Je promenais le regard sur l’étendue infinie de montagnes, de pics neigeux, de cimes scintillantes, de cascades et de torrents tourbillonnants, sans arriver à en concevoir la fin. Xéno, qui savait tout, ne pouvait lui non plus dire combien de pentes escarpées, combien de rochers abrupts il nous faudrait gravir avant d’apercevoir la mer. Cette mer que je n’avais jamais vue et que, j’en étais désormais persuadée, je ne verrais jamais.
    Le fleuve… Nous nous en écartions parfois, mais nous ne le perdions jamais de vue. C’était le guide, le sentier liquide et onduleux qui nous conduirait à travers des prairies

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