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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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Thessalie, que lui-même méprisait.
    « Écriras-tu ton mépris dans ton récit ? interrogeai-je.
    — Bien sûr. Il importe que chacun ait la réputation qu’il mérite.
    — Il ne me semble pas juste que ce soit toi qui en décides. Connais-tu la vie de Ménon ? As-tu pensé que tes concitoyens pourraient écrire à ton sujet des propos de ce genre ? »
    Xéno me dévisagea, sans doute surpris par le grec élaboré dans lequel je m’exprimais désormais, plutôt que par le sens de mon discours.
    Je lui relatai aussi la scène à laquelle j’avais assisté, l’altercation secrète entre Néon et Sophos, mais il ne sembla pas y prêter grande importance : il s’agissait probablement d’un différend stratégique, dit-il, rien d’inquiétant. Je n’étais pas du même avis : jamais je n’avais vu Sophos aussi bouleversé.
    Je demeurai éveillée longtemps après qu’il se fut couché et, tandis que je regardais vers l’ouest, vers ma terre natale, je voyais passer d’étranges formes dans l’obscurité, des ombres qui se déplaçaient rapidement. J’avais l’impression de percevoir des voix, des appels atténués par la distance.
    Des bateaux sur le Tigre.
    Je voyais aussi le chariot de Mélissa recouvert d’une tente et je m’interrogeais sur son avenir. J’entendis les cris des oiseaux de nuit et je pensai que c’étaient ceux de nos généraux torturés et tués, spectres courroucés qui franchissaient la nuit.
    Puis, plus rien.
    Un bruit étrange m’arracha au sommeil. Je réveillai Xéno.
    « Qu’est-ce que c’est ?
    — Je l’ignore. Le vent apporte parfois des bruits très lointains. »
    Le vent… chaque fois qu’il se levait, je me demandais s’il s’agissait du vent qui gronde à Beth Qadà, annonçant des événements extraordinaires, ou s’il se contentait d’y agiter un peu de poussière.
    « C’est une armée qui avance, dit Xéno. Ne bouge pas. »
    Il passa son armure et alla avertir Sophos.
    Les officiers diffusèrent l’alarme en silence. Les hommes se réveillèrent peu après et s’ébranlèrent, tandis qu’un petit groupe de cavaliers aux ordres de Xéno se dirigeait au pas vers la source du bruit de plus en plus distinct. Une faible lueur apparaissait à l’est, derrière une ligne de collines arides. J’attelai les mulets et ordonnai au domestique de monter notre tente sur le chariot. Il était habitué à me servir. Il y avait un autre véhicule non loin du mien. Je remarquai, à l’intérieur, une fille enceinte.
    « Tu connais le père de ton enfant ? » demandai-je.
    Elle indiqua la longue colonne de guerriers qui défilait dans l’obscurité. « Un de ceux-là », répondit-elle avant d’encourager son attelage.
    Nous atteignîmes bientôt le bord d’un ravin qui traversait notre piste. C’était une profonde fracture du terrain, une fissure de la roche sableuse qui s’étendait sur un long tronçon, d’ouest en est. Les parois étaient escarpées et une quantité de rochers parsemaient le fond, comme disséminés par une force surhumaine.
    L’hiver, ce ravin aride se remplissait à l’évidence des eaux limoneuses que les orages déversaient sur les montagnes, des crues soudaines auxquelles il m’était arrivé d’assister dans ma région. Dans leur fureur, elles charriaient des rochers et les déposaient au fond.
    Il était possible de passer en empruntant deux ou trois sentiers que les troupeaux de chèvres et de brebis s’étaient ménagés. Une seule voie s’offrait en revanche aux chariots : un passage dangereux, compte tenu de la pénombre. Deux véhicules se renversèrent et il fallut les redresser avec des pieux et les soutenir à l’aide de lances. Les fantassins et les cavaliers traversèrent sur les deux autres pistes.
    Xéno, Sophos, Agasias de Stymphale, Timasion de Dardanos, Xanthi d’Achaïe et Cléanor d’Arcadie avançaient à cheval, à vingt ou trente pas l’un de l’autre. Ils se retournaient fréquemment et ne cessaient de s’interpeller sans trop hausser le ton toutefois. Âgés de vingt à trente ans, formidablement bâtis, ils prenaient au sérieux la charge qu’on leur avait confiée. Bien que je fusse étrangère à cette expédition, je songeais fréquemment, moi aussi, à ceux que nous avions perdu.
    Sophos avait les yeux rivés à l’est, à l’endroit où le soleil se lèverait. Quand l’astre de lumière jaillit des collines, il pivota vers le sud. Je suivis son regard. Un éclair

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