L'armée perdue
brilla à plusieurs reprises dans la plaine. Il s’exclama : « Le signal ! Ils arrivent ! Suivez les instructions ! » Les officiers à cheval descendirent alors au fond du ravin et chacun se mit à la tête de son régiment. Aussitôt, les hommes rompirent les rangs et se lancèrent en ordre épars à l’assaut du bord opposé. Le convoi des chariots, des bêtes de somme, des femmes et des non-combattants entamait alors son ascension. De l’autre côté, deux officiers nous invitaient par de grands signes à les rejoindre, mais je refusai d’abandonner mes compagnons.
Alors que nous gravissions la pente, j’entendis un bruit de galop dans mon dos et je me crus perdue. Par chance, c’étaient les nôtres, les éclaireurs commandés par Xéno, qui avaient donné le signal et galopaient sur le sentier à bride abattue.
Xéno s’écria : « Abandonnez les chariots ! Montez immédiatement ! Abandonnez les chariots ! »
Les éclaireurs renchérirent : « Vite, courez le plus vite possible, laissez les chariots, les Perses nous talonnent ! »
Nous sautâmes tous à terre et nous élançâmes. Voyant Mélissa trébucher et crier de douleur à chaque pas, je volai à son secours. Ses petites sandales n’étaient pas adaptées au terrain, et ses pieds tendres se blessaient sur les rochers pointus, sur les éclats de silex noir. Je la soutins et tentai de l’entraîner. En vain. Désespérée je criai de toutes mes forces : « Xénoooooo ! » Il surgit aussitôt à mes côtés, souriant derrière son casque. Il avait rebroussé chemin avant même que je l’appelle.
Il nous aida à gagner le bord du ravin en l’espace de quelques instants. D’autres hommes l’imitèrent, portant secours à mes camarades de mésaventure.
« Cachez-vous tous derrière ce rocher ! » hurla-t-il, et nous obtempérâmes sur-le-champ, le bruit de galop ne cessant d’enfler. Une fois à l’abri, je lançai un coup d’œil du côté de Sophos et Xéno… personne !
« Où sont-ils ? m’exclamai-je.
— Ils nous ont abandonnées ! se mit à pleurnicher Mélissa. Ils se sont enfuis et nous ont abandonnées !
— Ne dis pas de bêtises. Ils sont à pied, comme nous, ils ne peuvent pas avoir disparu. » Je lui intimai le silence car les Perses jaillissaient à cet instant précis du ravin. Ils s’immobilisèrent, interdits, fouillant du regard l’immense steppe couverte d’herbe sèche. Seul le souffle du vent, qui couchait les tiges et dispersait les ombrelles blanches des pissenlits, s’insinuait dans le silence abyssal de ces lieux. Mais cela ne dura pas longtemps.
Un cri aigu et rythmé retentit bientôt, suivi d’un ferraillement. Aplatis dans l’herbe, nos hommes se dressèrent du même mouvement en ordre de bataille !
Dix mille boucliers se resserrèrent en une muraille de bronze, dix mille lances se tendirent en avant, menaçantes, des milliers de capes rouges se déployèrent dans le vent tels des étendards. Et les casques ! Ils étaient impressionnants ! Des casques en bronze qui ne découvraient que les yeux et la bouche, transformant chaque homme en être chimérique. Les regards brillaient comme des éclairs dans le noir, et chaque mouvement de tête se changeait en menace. L’adversaire qui se montrait à visage découvert avait toute raison de croire que des puissances féroces se dissimulaient derrière ces masques de métal. Quand le visage est impénétrable, tout le reste l’est aussi.
Les cavaliers tentèrent de surmonter leur effroi et chargèrent sur l’ordre de leur chef, mais les nôtres étaient trop près, et ils avançaient déjà. Privés de l’élan nécessaire, les chevaux se heurtèrent aux lances. La phalange avançait comme une machine, et personne ne pouvait lui résister. Les cavaliers essayèrent d’enfoncer cette muraille. En vain ! À chaque tentative, les rangs se resserraient, et les lignes grossissaient, ceux qui étaient derrière poussant ceux qui étaient devant. Les lances se plantaient dans le corps des adversaires et bien vite l’affrontement se changea en massacre. Horrifiée, je regardais hommes et chevaux choir dans le ravin, les uns entraînant les autres, semant des lambeaux de chair et des éclats de sang sur les pierres pointues, sur les éperons rocheux, sur les lames coupantes des silex noirs.
Puis, la phalange s’ouvrit : archers, frondeurs et lanceurs de javelots projetèrent sur les rescapés une pluie de dards
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