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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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s’endormît. Tandis que je longeais l’enclos des chevaux et me dirigeais vers ma tente, j’aperçus Sophos qui passait parmi les corps de garde. Néon le rejoignit et l’entraîna à l’écart. Je m’immobilisai, sur le qui-vive. Sophos écoutait son ami, l’air bouleversé. Soudain, il fit mine de partir, mais Néon le retint par le bras et lui dit : « Ce sont les ordres, tu n’as pas le choix ! » Puis ils reprirent leur dialecte, que je ne comprenais pas. Enfin, Néon s’éloigna. Demeuré seul, Sophos reposa ses bras sur la barrière et sa tête sur ses bras, comme écrasé par une pensée insupportable. Je retenais mon souffle. J’étais si près de lui que je l’entendais haleter. Soudain, il leva la tête, assena en pestant un coup de poing sur le pieu et s’en alla à grandes enjambées.
    Le lendemain, nous subîmes plusieurs attaques. Nos ennemis entendaient tester nos capacités de résistance, ainsi que le moral de nos troupes privées de chefs. Ils trouvèrent à qui parler, mais nous constatâmes que nous étions vulnérables aux assauts de leur cavalerie. Tant qu’Ariée avait été à nos côtés, ses cavaliers nous avaient couverts avec ceux de Cyrus, soit la crème de la noblesse, des jeunes gens extrêmement fidèles et courageux. Ce n’était plus le cas. Et chaque fois que les nôtres réagissaient, les Perses prenaient le galop et se mettaient en quelques instants hors de portée de tir.
    Sophos tint sa promesse de n’abandonner personne, de ne laisser aucun malade derrière nous, aucun blessé. Je me demandais ce qu’il ferait quand ceux-ci se compteraient par dizaines, par centaines. Nicarque d’Arcadie nous accompagna, installé sur un chariot. Il avait le ventre gonflé comme une outre et dur comme du cuir, mais le chirurgien le sondait à chaque arrêt, à l’aide d’une canule en argent, et extirpait les humeurs malignes de ses entrailles. Il délirait, souffrant de la fièvre et de la chaleur du soleil, et gémissait une grande partie de la nuit, si bien que bon nombre de ses camarades se mirent à souhaiter sa mort : ainsi, leurs souffrances, comme les siennes, s’achèveraient enfin. Je pensais, quant à moi, qu’il devait y avoir au loin quelqu’un qui espérait de tout son cœur en son retour, qui priait chaque jour un dieu de le protéger contre les innombrables dangers de son métier et de le ramener sain et sauf. Il pouvait s’agir d’une jeune fille, comme Mélissa, de son père ou de sa mère. Ces prières méritaient d’être exaucées, car elles étaient identiques à celles de Mélissa pour Ménon, identiques aux miennes pour Xéno lorsqu’il était en danger.
    L’idée de contrarier le cours du destin m’apportait une grande satisfaction, aussi assistais-je Nicarque sans répit, combattais-je sans trêve la mort qui, pareille à un chacal, rôdait la nuit autour de son chariot, bien décidée à l’emmener dans le royaume des têtes pâles.
    Nous traversâmes un fleuve sur un pont de bateaux et nous dirigeâmes vers une ville abandonnée que les indigènes appelaient Al Sarruti.
    Les femmes qui suivaient l’expédition étaient nombreuses : je m’en rendis compte en les voyant marcher en file près des véhicules destinés désormais aux blessés. Plutôt jeunes, certaines enceintes, elles étaient terriblement effrayées. Je me demandais combien de temps elles résisteraient à ces marches exténuantes et aux privations de toutes sortes.
    Nul doute, les grandes difficultés commençaient maintenant. Avant, nous disposions de nourriture, de vin et du soutien de nos chefs, des hommes qui savaient inspirer confiance et prendre les bonnes décisions. Bien que je fusse très amoureuse de Xéno, je m’interrogeais sur ses compétences, sur sa capacité à conduire ses compagnons vers le salut. Sophos, qui s’était exposé, même s’il taisait ce qu’il ne pouvait dire, y parviendrait peut-être. Et d’autres hommes demeurés jusqu’à présent dans l’ombre se révéleraient peut-être, eux aussi.
    Un soir, tandis que je préparais le dîner avec les quelques vivres qui nous restaient, je racontai à Xéno que, la nuit de l’embuscade, j’avais nagé jusqu’au pavillon et vu nos généraux qu’on emmenait, enchaînés. Je lui expliquai comment l’assaut avait été organisé. Il fut troublé par cette révélation et, en particulier, par les raisons de mon geste : rapporter à Mélissa des nouvelles de son bien-aimé, Ménon de

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