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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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hauteurs, afin que les uns se reposassent pendant que les autres se battaient. Sous leur protection, la longue colonne des bêtes de somme, des domestiques et des femmes avançait lentement, pas après pas, vers une halte qu’il était difficile de concevoir.
    Puis le soleil se posa sur les chevelures des arbres, les derniers cris moururent dans des râles ou dans des halètements, un faucon s’envola vers le ciel et une vallée apparut.
    Nous pûmes enfin contempler un paysage paisible.
    La plaine était vaste et légèrement vallonnée, bordée au fond par une butte et parcourue par un torrent aux eaux limpides. Au nord s’élevait un éperon rocheux rougi par les rayons du couchant et surmonté d’un village. Des maisons de pierre, les premières depuis longtemps. Des toits de paille, de petites fenêtres, de petites portes. Un sentier taillé dans la roche menait au torrent, et une fille aux vêtements rouge et vert, aux cheveux noirs cerclés de cuivre, le descendait avec grâce, un tortillon et une amphore sur la tête. À cette vue, il se fit un tel silence que je crus entendre tinter les anneaux qu’elle portait aux chevilles.
    Nous dormirions enfin à l’abri dans une de ces nombreuses habitations. Les hommes s’installèrent, quant à eux, dans des greniers à blé et sous les auvents qui protégeaient le bétail.
    Sophos plaça des sentinelles autour du village et une seconde ligne au pied de la butte qui bordait la plaine.
    Tout le monde espérait que nos souffrances avaient pris fin.
    Personne n’y croyait.
    La fille que j’avais vue sur le sentier menant au torrent ne réapparut pas. Je pense encore à sa silhouette gracieuse et hautaine et je me demande s’il s’agissait là d’une vision, d’une divinité des montagnes ou de la rivière qui abandonnerait ses terres désolées et désertes pour aller se fondre dans le bois ou dans les eaux limpides, entre rochers et sable.
    Les soldats allumèrent des feux. Nous nous savions observés, une raison de plus pour prendre des forces et manger quelque chose de chaud. Xéno invita à sa table Euryloque de Lousi et Nicarque d’Arcadie, ainsi que Sophos et Cléanor. Était-ce un dîner d’adieu, un rendez-vous dans l’au-delà ? Quatre-vingts ans plus tôt, un Spartiate qui s’était battu contre la plus grosse armée perse de tous les temps avait agi de la sorte. Xéno m’avait raconté son histoire, celle d’un roi qui avait fait naître une légende, un roi qui ne portait ni couronne, ni mitre, ni vêtements brodés, mais une tunique de laine brute et une cape rouge, comme les trois cents jeunes gens qui moururent avec lui, refusant de se rendre et de renoncer à la liberté en un lieu dénommé les Portes ardentes. Une histoire émouvante.
    « Mangeons et buvons… Demain… » Les paroles de Sophos me revinrent à l’esprit. Le vent, qui s’était soudain levé, avait emporté ses derniers mots.
    Maintenant que les convives étaient repartis, je m’approchai de Xéno, un bol de vin chaud à la main.
    « Que se passera-t-il demain ? interrogeai-je.
    — Je l’ignore.
    — L’ennemi attaquera-t-il encore ?
    — Tant qu’il sera en vie.
    — Pourquoi ? Pourquoi ces gens ne nous laissent-ils pas partir ? Ne comprennent-ils donc pas que c’est dans leur intérêt ?
    — Tu veux dire que nous autoriser à passer leur coûterait infiniment moins cher que tenter de nous l’interdire ?
    — Exactement. Ils ont eu de grosses pertes, un grand nombre de blessés, et ce n’est pas terminé. Pourquoi ? Il vaut la peine de se battre pour repousser un ennemi, mais nous sommes déjà ici et nous voulons partir. L’arme qui reste dans un corps humain le tue, celle qui le transperce de part en part sans abîmer d’organes vitaux l’épargne. Ils le savent. Personne ne souhaite mourir sans raison. Comment l’expliques-tu ? »
    Xéno but une gorgée de vin et répondit : « Tu sais ce que l’interprète nous a dit ? Jadis une armée du Grand Roi envahit ce pays et s’évanouit ensuite dans le néant. Ils entendent dissuader toute armée de pénétrer sur leur territoire en proclamant que celles qui l’oseraient seront anéanties.
    — Et Tissapherne ? Il voulait lui aussi nous anéantir. Pour la même raison ?
    — Oui. Ceux qui s’aventurent dans l’Empire n’en ressortiront pas vivants.
    — Pourquoi ne nous ont-ils pas tués lorsque nous étions encerclés, sans vivres ni eau ? Pourquoi ont-ils voulu

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