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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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mon bien-aimé, avec celle de tous les soldats qui lui emboîtaient le pas, avec celle de Lystra. La flèche cherchait la poitrine de Xéno ! Au dernier moment, elle rebondit sur une surface métallique : un jeune héros était accouru et avait tendu son bouclier devant lui. Ainsi protégés, les deux hommes reprirent tous deux leur marche. Le contingent qui avait occupé le col pendant la nuit rejoignit l’armée et les rangs se serrèrent. Les capes rouges flamboyèrent dans la lumière du jour et les écus scintillèrent, éblouissant l’ennemi.
    Maintenant, les Cardouques étaient tout près. Ce n’étaient plus les fantômes obscurs de la nuit, des forces mystérieuses et menaçantes, les esprits des sommets qui roulaient des pierres mais des bergers hirsutes, couverts de peaux, qui s’enfuyaient en semant sur le terrain des morts et des blessés. Je vis Timasion de Dardanos conduire les siens en agitant un étendard rouge fixé sur la lance, Cléanor rugir comme un lion en poursuivant l’ennemi avec le bataillon de ses Arcadiens, et la chevelure de Xanthi rebondir sur ses épaules à chaque saut. Le son des flûtes ponctuait la marche et scandait le cri de guerre : « Alalalaï ! Alalalaï ! »
    C’était terminé. Une fois sur le col, les hommes s’immobilisèrent devant le spectacle de la vallée et, appuyés sur leurs lances, reprirent haleine. À la vue du cimier blanc, j’oubliai la fille enceinte et criai de toutes mes forces : « Xéno ! Xénoooo ! » Je me précipitai vers lui et jetai mes bras à son cou. Je savais que ces effusions le plongeraient dans l’embarras, mais peu m’importait : je voulais entendre les battements de son cœur, voir l’éclat de ses yeux, ses cheveux luisant de sueur.
    Il m’étreignit pendant quelques instants, comme si nous étions seuls devant le puits de Beth Qadà. Puis il répondit à Sophos qui le cherchait du regard. Enfin, il alla trouver le garçon qui lui avait sauvé la vie. Il se nommait Euryloque de Lousi : âgé de dix-huit ou dix-neuf ans, il avait le regard lumineux et insouciant des adolescents, les épaules et les bras d’un lutteur.
    « Je te dois la vie », lui dit-il.
    Euryloque sourit. « Nous avons flanqué une belle raclée à ces boucs et nous avons sauvé notre peau, tout au moins pour cette fois, et c’est le plus important. »
    Il y avait là un groupe de villages déserts. Les hommes s’y installèrent afin de se reposer, de s’abriter contre l’humidité et le froid de plus en plus vif de la nuit. Les vivres, indispensables, y abondaient. Le vin aussi : un soldat de Xanthi le découvrit, dissimulé dans des citernes creusées dans la roche et cimentées. Il y en avait assez pour enivrer toute une armée. Sophos ordonna bien vite qu’on le plaçât sous surveillance : il était fort possible que les indigènes l’eussent laissé là dans le but de nous neutraliser. Cette soirée tranquille en apparence ne trompait personne. Les manières des Cardouques nous étaient maintenant bien connues.
    Alors que les hommes s’apprêtaient à se coucher, l’ordonnance de Xéno et l’interprète revinrent. Ils apportaient une nouvelle surprenante.
    « Ils ont accepté, général.
    — Quoi ?
    — La trêve pour recueillir les corps. »
    Xéno lança à son ordonnance un regard incrédule. « À quelles conditions ?
    — Nous ramasserons nos morts, et les Cardouques ramasseront les leurs.
    — C’est tout ?
    — Ils veulent aussi…, il chercha du regard le guide qui avait conduit Agasias et les siens sur le col…, cet homme.
    — Le guide ? Cela me convient. »
    Cela ne convenait pas au guide. Quand il comprit que nous allions le rendre aux siens, il implora et sanglota, se prosterna devant les généraux, qu’il avait appris à reconnaître à leurs casques à crête et à leurs armures richement décorées, et essaya de s’agripper à leurs mains. Repoussé par l’un, il s’agenouillait devant l’autre, lui étreignait les genoux, le suppliait avec une passion qui aurait ému un cœur de pierre. Les généraux savaient que des châtiments atroces l’attendaient, et l’homme le savait aussi. Il avait sans doute imaginé qu’il se rendrait utile par sa connaissance du terrain et que nous le libérerions lorsque nous n’aurions plus besoin de lui. Peut-être comptait-il se réfugier dans sa famille, chez des amis vivant dans un village éloigné, où personne n’apprendrait sa trahison

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