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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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supprimer nos généraux ? »
    Xéno secoua la tête.
    « Et les interprètes ? D’où viennent-ils ? Qui nous les a envoyés ?
    — Je l’ignore. »
    J’avais insinué des doutes dans son esprit, les doutes mêmes qui m’habitaient quand nos généraux étaient allés retrouver les Perses.
    « Attention, Xéno, la vertu ne compte pas face à la tromperie.
    — Je le sais. Mais ici tout le monde se bat avec le même courage, tout le monde risque sa vie de la même façon. Mes camarades, du général en chef jusqu’au dernier soldat, ont toute ma confiance. Et puis, personne n’a intérêt à trahir. Pour chacun d’entre nous, la seule façon d’espérer avoir la vie sauve est d’accomplir son devoir, de ne faire qu’un avec le reste de l’armée.
    — C’est vrai. Mais quelqu’un aurait-il intérêt à ce que cette armée s’évanouisse dans le néant ? Quelqu’un subirait-il un grand tort si l’armée revenait ? »
    Xéno me dévisagea un instant d’un air mystérieux. J’eus l’impression qu’il voulait me communiquer une pensée indicible, exactement comme la servante de la reine mère. Je n’insistai pas. C’était déjà bien qu’il m’eût écoutée. Je l’aidai à dégrafer son armure et allai puiser de l’eau dans la rivière afin qu’il pût se laver et se détendre dans le sommeil. Après quoi je rendis visite à la fille enceinte. Épuisée, elle gisait sur la terre nue.
    Le vent se renforça, entraînant dans le ciel de faibles formes blanchâtres, une horde de spectres tremblants, d’âmes de défunts égarées.

19
    « Lève-toi, lui dis-je. Je vais te donner une peau de mouton et une couverture. Le bât de mon mulet te servira d’oreiller. »
    Elle fondit en larmes. « Je n’en peux plus. Je vais perdre mon bébé parmi les pierres de ces montagnes.
    — Non, tu le sauveras. Ce petit bâtard est le fils des Dix Mille, il s’en tirera. Et toi aussi, pour lui… ou pour elle. C’est peut-être une fille.
    — Il ne vaut mieux pas. Naître femme est un destin amer.
    — Naître est dur pour tout le monde. Combien de jeunes gens ont perdu la vie hier, et combien la perdront encore ! Nous sommes vivantes, toi et moi. As-tu jamais aimé ?
    — Aimé ? Non. Mais je sais ce que tu veux dire. J’en ai rêvé une fois. J’ai rêvé d’un garçon qui me regardait, l’air enchanté, et me donnait l’impression d’être belle. J’attendais sa visite chaque fois que je fermais les paupières.
    — Et maintenant ? Il ne réapparaît plus dans ton sommeil ?
    — Il est mort. La mort est plus puissante que les rêves. Nous enterreras-tu quand nous mourrons ? Si tu le peux, recouvre-nous de terre et de pierres, ne nous abandonne pas aux bêtes de la forêt.
    — Tais-toi. Peu importe ce qui arrive quand on est mort. »
    Je pris la peau de mouton et la couverture et l’aidai à s’allonger. Je lui apportai des restes du repas que j’avais cachés ainsi qu’un peu de vin pour la revigorer.
    Elle s’endormit et j’espérai que le jeune homme dont elle avait rêvé lui rendrait visite sous ses paupières.
    La lune surgit des montagnes et éclaira la vallée, semant mille reflets d’argent sur la rivière qui coulait en gargouillant sur un lit de sable propre.
    Je n’avais qu’une seule envie : dormir, m’abandonner auprès de Xéno. Mais je regardai les guerriers qui montaient la garde, aussi fatigués que des enfants qui tombent de sommeil. Ils veillaient, enfermés dans leurs coquilles de métal, enveloppés dans les capes qui s’assombrissaient avec la nuit.
    J’aurais aimé connaître leurs pensées.
    Les autres dormaient déjà, alors que les derniers échos du combat retentissaient encore dans leurs oreilles. De quoi rêvaient-ils ? D’une mère tenant entre ses mains un pain chaud et parfumé, peut-être.
    Des chiens errants suivaient l’armée depuis longtemps, ils étaient de plus en plus maigres car il n’y avait plus de restes pour eux, et hurlaient à la lune.
    Le vent se leva tel un rapace nocturne qui quitte son nid des montagnes enneigées, mais la tente baignait dans la chaleur de Xéno, son corps était doux sous la laine de sa tunique, et je m’endormis en rêvant d’autres paysages, d’autres sons, d’autres cieux. La dernière image que je vis avant de sombrer dans le sommeil fut le cintre qui supportait les armes et la cape de Xéno. Dans l’obscurité, il évoquait un guerrier féroce qui veille en élaborant de

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