L'Art Médiéval
avorter brusquement au
choc d’une civilisation supérieure malgré tout, malgré l’esprit de
meurtre et de rapine de ses envoyés, malgré l’Inquisition qu’ils
apportaient. Ces aventuriers venus d’un vieux monde où l’esprit
humain était en proie au plus profond bouillonnement qui l’eût
agité depuis quinze siècles, ces fous violents qui avaient heurté
ce continent en essayant de contourner la terre, représentaient
contre eux-mêmes la conquête de l’avenir.
Ils n’eurent qu’à toucher du doigt le fruit
pourri pour qu’il tombât du vieil arbre où la sève ne montait plus.
Au Mexique plus encore qu’au Pérou, les massacres rituels qui ne
cessaient pas avaient plongé les peuples dans une torpeur hébétée
qui les rendit incapables de résister plus de deux ans à l’effort
de l’envahisseur. Ils ne retrouvèrent un reste d’énergie que pour
aider Cortez à chasser de Tenochtitlan [16] les
Aztèques qui les tenaient depuis deux siècles sous le joug. À tout
prendre, la religion de Torquemada immolait moins de victimes que
celle de Montezuma. Et d’ailleurs, sur ce sol, il était passé de si
profonds flots d’hommes, depuis mille ans, qu’une indifférence
absolue venait à ses plus anciens possesseurs, du maître auquel il
fallait payer, au nom du dieu qu’il apportait, l’impôt d’or et de
sang.
Comme les Doriens dans la Grèce primitive,
comme les Germains dans l’Italie contemporaine des civilisations du
Mexique, tous les conquérants étaient venus du Nord, les Toltèques
au VI e siècle, les Chichimèques au XI e , les
Aztèques au XIII e . Par où ils étaient entrés, l’Orient
ou l’Occident, le Groenland ou la mer de Behring, nous ne le savons
pas. Par les deux côtés sans doute. On trouve tous les types chez
les habitants actuels ou dans les vieilles sculptures du Mexique,
l’Asie mongolique, probablement l’Europe Scandinave, peut-être
l’Atlantide engloutie. Ils avaient sans doute traversé les régions
boréales, entraînant dans leurs migrations quelques-uns de ces
Inoïts qui peuplent encore les bords de l’Océan arctique et que
certains disent descendre du plus vieux peuple artiste de la terre,
les Troglodytes périgourdins remontés vers le nord avec le froid.
Ils avaient pris contact, aussi, laissant des leurs au milieu
d’eux, en emmenant d’autres vers le sud, avec les Indiens nomades
de l’Amérique du Nord. Là, ils avaient passé des hivers parmi les
Hyperboréens blottis dans leurs huttes sordides, puantes, à peine
éclairées, et rythmé avec eux l’interminable nuit polaire par la
préparation des engins de pêche, de chasse et de commandement, bois
de rennes, mâchoires de rennes et de phoques, os de baleine qu’ils
gravaient d’images précises comme les souvenirs de leur vie
monotone qui recommençait chaque année avec le retour du soleil
pâle. Ici, en descendant la vallée du Mississipi ils avaient bu
l’eau, pétri la farine, mangé la viande et les fruits dans de beaux
vases rouges à larges taches noires où l’ornement géométrique prend
quelquefois le fruste aspect d’une bête ou d’un oiseau. Ils avaient
couché dans la prairie sous des tentes de peau ornées de dessins
enfantins, bisons chassés, démons, dieux effroyables, qui
réunissaient dans leur coloriage violent, leur dessin gauche, le
plus primitif des symbolismes à la plus primitive des écritures et
où pouvaient se pressentir les hiéroglyphes des manuscrits du
Mexique et des bas-reliefs péruviens, leur vie géométrique, leur
raideur de jeux de patience. Le visage caché sous des masques
horribles, empennés, becqués, encornés, violemment peints et
couverts du crâne au talon de plumes multicolores qui leur
donnaient l’aspect de ces monstres à crête dorsale enfouis dans les
houillères des Montagnes Rocheuses, ils avaient dansé les terribles
danses de guerre qui rôdent autour de la mort [17] .
Des souvenirs encore plus lointains remuaient en eux peut-être, ils
emportaient au fond des yeux l’image des rochers sculptés de la
Scandinavie préhistorique, et leurs traditions millénaires leur
conservaient la technique primitive transformée avec le temps et
adaptée à des climats nouveaux, de la construction en bois que leur
plus vieil aïeul leur avait apportée des plateaux iraniens [18] .
En tout cas les ruines dont fourmille le
Yucatan en portent toutes la trace. Les conquérants mayas qui
avaient construit ces édifices, probablement
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