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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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esclave de sa chair. Tous sont monstrueux et vivants, jaillis
de la verve bestiale que déchaînent les amours ivres et les sens
exaspérés au milieu des fruits écrasés et des baies colorantes et
des plumes multicolores qui pleuvent avec le soleil. Jadis, avant
que l’homme blanc fût venu imposer le morne vêtement et tarir
l’esprit poétique, les grandes idoles de bois peint étaient les
sœurs des fleurs énormes et des oiseaux de paradis et des hommes
nus qui traversaient les bois, tatoués des pieds au front, peints
de rouge, de vert, de bleu, couverts de grandes lignes ondulantes
faites pour accuser les formes, accompagner d’éclairs en mouvement
le rythme de la course, et souligner les muscles du visage dans le
jeu terrifiant des expressions de luxure ou de cruauté.
    Il faut séduire la femme, terrifier l’ennemi,
et, par un instinct encore plus obscur et plus vaste, jouer dans la
symphonie naturelle le rôle qu’exigent les grandes corolles
suspendues par les lianes enchevêtrées entre les arbres géants, les
pelages lustrés, les ailes de feu, les couchers d’astres dans la
mer. Tous les primitifs intertropicaux qui vivent nus, dans la
liberté de la lumière, ont ainsi et de tout temps aimé se barioler
de couleurs fraîches ou incrustées dans l’épaisseur de la peau, les
nègres d’Afrique et les Indiens d’Amérique comme les Polynésiens.
Mais chez le Polynésien, le tatouage prend un éclat, un souci de
rythme et de vie qu’il n’a nulle part ailleurs, sauf chez les
peuples dérivés des nations océaniennes ou en rapport avec elles
depuis longtemps. Les Japonais ont substitué à l’ornement
géométrique des figures d’oiseaux, de dragons, de chimères, de
femmes, de vrais tableaux mouvants et composés. Les Néo-Zélandais,
s’ils ont conservé dans le tatouage l’ornement géométrique de
l’ancêtre océanien, y ont apporté une précision, une violence, une
volonté de style qui suffiraient presque à les définir comme
artistes si leur génie plastique ne s’était pas révélé par d’autres
affirmations.
    D’où qu’ils vinssent – les migrations
polynésiennes à travers le Pacifique n’ont guère plus d’histoire
que celles des oiseaux errants de climats en climats –, ils
gardaient des populations d’Océanie ce sensualisme ardent qui les
distingue. Comme elles, ils aimaient dresser aux portes de leurs
cases des pieux sculptés en figures atroces, orner leurs armes,
leurs ustensiles d’industrie et de ménage, leurs coffrets et leurs
vases d’entailles peintes qui dénoncent, sous l’apparent souci
d’observer et de perpétuer les rites traditionnels, les pratiques
d’exorcisme et de magie, cet amour humain de la forme, de la ligne
et de la couleur où nous puisons le désir de nous harmoniser à la
nature pour la mieux comprendre et la recréer tous les jours avec
ses propres éléments. Mais quelque chose de nouveau, une grande
chose nouvelle y apparaissait nettement quand les Anglais, au
milieu du dernier siècle, vinrent interrompre l’ascension des
Maoris vers une conscience tous les jours moins chaotique et plus
lumineuse de leur destinée dans le monde. Ils se livraient au
cannibalisme, il est vrai, mais seulement depuis qu’ils avaient
entièrement détruit les rares spécimens des espèces antédiluviennes
qui erraient au travers des forêts silencieuses quand ils étaient
arrivés sur leurs canots de guerre ornés de visages effrayants,
dans ces grandes îles étranges dépourvues d’oiseaux, d’insectes, de
reptiles, et possédant à peine une famille de mammifères nains. Ils
n’étaient là que depuis trois cents ans peut-être, péniblement
parvenus à s’organiser en tribus qui comptaient quelques dizaines
de milliers d’hommes et où les naissances compensaient à peine les
vides creusés par les massacres des prisonniers de guerre offerts
en sacrifice aux dieux. Et cependant, déjà ils échappaient au
silence de l’âme. Ils avaient construit des villages au centré
desquels le
Pa
fortifié enfermait l’œuf de la cité future,
quatre ou cinq cases communes sculptées du haut en bas, écoles,
musées de la tradition et des légendes, temples, enceintes de jeux
et d’assemblées où siégeaient les conseils d’administration et de
guerre. Comment ne pas reconnaître, dans les formes qui les
décorent, toujours violentes certes, meurtrières, rouges de sang,
contorsionnées en attitudes infernales, mais manifestant déjà

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