L'Art Médiéval
avant l’arrivée des
Toltèques et peut-être même à l’époque des civilisations
gréco-latines, rattachaient par leurs pyramides à degrés extérieurs
et leurs édifices à murailles inclinées, le rameau américain des
Aryas aux rameaux d’Asie et d’Europe qui s’étaient répandus, aux
premiers temps de notre histoire, sur la Mésopotamie, l’Inde,
l’Égypte, la Grèce et l’Italie du Sud. Et dans tout le reste du
Mexique, couvert au Moyen Âge d’aqueducs, de quais, de jetées, de
canaux, de ponts, de réservoirs, de chaussées de pierre, de temples
pyramidaux, de palais à terrasses, de remparts, le génie des
peuples blancs plus ou moins mêlé, plus ou moins résistant
persiste, quelquefois presque pur comme chez les Yucatèques,
étouffé souvent comme à Mitla de formules théocratiques, épaissi de
sang noir ou jaune quand on erre sur les plateaux où tant de races
se croisèrent, où la nature reprend tout, où des bois épais
recouvrent si souvent d’énormes ruines portant à leur sommet un
temple du dieu catholique.
Comme aux Indes, quand on monte du Sud au
Nord, de l’ivresse confuse des peuples sensualistes aux claires
conceptions des peuples rationalistes, ici, quand on descend du
Nord au Sud, on passe par tous les degrés, des façades regorgeant
de sculptures touffues aux grandes bandes horizontales lisses ou
creusées d’ornements abstraits soutenues par des colonnades et
coupées en arêtes pures, aussi nues que le profil du sol. Des
plaines calcaires du Yucatan aux plateaux frais du haut Mexique, on
traversait des broussailles enfiévrées, grouillantes de serpents,
de scorpions, d’insectes empoisonnés où l’esprit pouvait
s’obscurcir de miasmes épais, l’œil se voiler de brouillards
sanglants pour fusionner les styles, imposer aux architectes les
fantaisies les plus bizarres de l’orgueil théocratique, mêler
l’Inde primitive, l’Europe du nord, l’Asie et l’Amérique comme
leurs mythologies s’étaient confondues et défigurées dans l’âme
farouche des vieux prophètes mexicains. Rien ne peut exprimer le
trouble ardent de l’âme de ces peuples qui connaissaient
l’astronomie, avaient divisé l’épopée humaine en quatre âges
grandioses, les Soleils d’eau, d’air, de feu, de terre, la lutte
contre le déluge, le froid, la lave et la faim, chantaient des
amours de volcans, adoraient le soleil, le père profond de la vie,
du haut des terrasses, mais croyaient nécessaire que les murs des
temples qu’ils lui élevaient fussent toujours baignés de sang
humain pourrissant sur la terre brûlante et qu’à leur faîte une
Pierre des Cœurs offrît aux aigles les viscères des
sacrifiés [19] .
À Teoyaomiqui, déesse de la mort, à
Huitzilopoctli, dieu du carnage, à Tlaloc, dieu de l’eau, des
forêts, des orages, dieu qui réglait les torrents tièdes ruisselant
du ciel pendant six mois, à Quetzalcuatl, le serpent emplumé
qu’adoraient déjà les Toltèques [20] auxquels
les maîtres de Tenochtitlan avaient pris l’art, le culte du soleil,
la soif du sang, il fallait des cadavres frais. Pour consacrer à
Tenochtitlan le temple d’Huitzilopoctli, on égorgea quatre-vingt
mille prisonniers. Le pain offert en sacrifice était pétri avec le
sang des enfants et des vierges. On arrachait les cœurs pour les
élever vers le dieu, on faisait savamment fuser sur son image pour
qu’elle disparût sous un manteau de caillots fumants à la fin des
cérémonies, les flots de sang jaillis des artères tranchées. On
élevait aussi haut que les temples pyramidaux, des amas de têtes
coupées. Il y avait des sanctuaires où l’on entrait par une bouche
dont les dents écrasaient des crânes et déchiquetaient des
entrailles et qu’on ne pouvait franchir qu’en marchant dans le sang
jusqu’aux genoux. Les prêtres écorchaient des hommes pour se vêtir
de leur peau.
Du fond de cette horrible buée rouge qui
montait de partout, prenait à la gorge, faisait rouler dans les
veines un poison nauséeux, voilait le souvenir, comment l’âme
énervée et découragée des peuples eût-elle pu tout à fait dégager
des formes qui l’environnaient ces grandes lois de la structure
vivante d’où sortit, par l’Égypte et la Grèce, la civilisation de
l’Occident ? On dissimulait à leurs yeux tout ce qui n’était
pas la mort. Le soleil ne touchait qu’au zénith l’autel sculpté qui
se cachait au sein de la montagne artificielle creusée d’un
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