L'Art Médiéval
puits
en son milieu. Les bas-reliefs plats dont on recouvrait les
murailles et où l’on aurait pu voir des hommes aux casques emplumés
chasser le tigre et le boa sous le vernis brillant des verts, des
bleus turquoise et des rouges, disparaissaient sous le sang. Une
vapeur d’abattoir masquait les idoles. La tradition de la matière
sculptée ne pouvait se transmettre à des générations mutilées, et
la nature sur laquelle elles jetaient trop hâtivement les regards
fumait toujours de pluie ou vibrait toujours de soleil. C’est par
l’intuition de la masse, non par l’intelligence du profil qu’on
peut comparer les idoles de pierre que leurs outils de bronze
dégageaient peu à peu du bloc aux purs colosses égyptiens dont les
plans se répondent, s’amènent l’un l’autre et se balancent comme le
flot des sables et des mers. Ils ne pouvaient pas dépasser, à peine
pouvaient-ils atteindre l’étape architecturale de l’évolution de
l’esprit. Sans doute, le souci d’une symétrie essentielle les hante
quand ils dressent sur leur socle ornementé Tlaloc accroupi, les
yeux caves au ciel, immobilisé dans une expression prodigieuse
d’attente et d’ennui, Chac-Mool recueillant la pluie dans son
ventre et la déesse de la mort vêtue de serpents et de griffes et
levant sa face de squelette et ses horribles mains pourries. Sans
doute parviennent-ils souvent ainsi, par un effort qu’on sent
douloureux vers l’expression la plus tranchante, à des résumés
structuraux profondément émouvants, un équilibre soudain qui arrête
et assied la forme titubante avec l’énergie du désespoir même. La
continuité du monstre composite n’est plus alors, comme chez
l’Égyptien, dans l’ondulation progressive et fuyante du modelé,
coulant ainsi qu’une eau limpide. Comme une végétation tropicale
boursouflée de bulbes spongieux, de dards, de dartres, de verrues,
elle procède en poussant, du cœur qui bat sous ses profondeurs
torpides, son sang épais dans les proéminences grasses, têtes et
tronçons de reptiles, crânes dénudés, doigts humains, bréchets
d’oiseaux qui, au premier abord, semblent accrochés au hasard.
Cependant une architecture sommaire, mais imposante, faisant masse
sous toutes ses épaisseurs, et vue par l’ensemble vivant plus que
par le plan abstrait, le ramène à l’unité organique sans qui
l’œuvre s’effondrerait. Seulement, leur destin épouvantable les
avertit qu’ils n’auront pas le temps d’en approfondir le sens, de
s’élever dans l’abstraction, de parvenir à la notion de l’harmonie.
En hâte, ils disent ce qu’ils ont à dire, des visions confuses et
violentes, brèves, morcelées, un cauchemar pesant de tristesse et
de cruauté.
Même quand ils élèvent des statues entières,
quand ils abandonnent pour un jour leurs combinaisons
hiéroglyphiques de figures géométriques et de formes animées, on
dirait à leur façon d’articuler les membres et d’architecturer les
masses, qu’ils n’ont jamais vu que des troncs mutilés, des membres
épars, des crânes scalpés, des faces écorchées aux orbites vides,
où claque le rictus des dents. La vie n’est là que par tronçons,
coupée comme elle est dans leur âme, n’ayant que des
tressaillements courts, figée par le dogme et la peur. Ils
combinent en formes confuses des morceaux d’animaux vivants,
d’énormes masses pulpeuses, gonflées d’eau trouble, hérissées
d’épines comme les échinocactus. Dans l’Amérique centrale où, sur
la terre imbibée d’averses brûlantes, la végétation est plus
broussailleuse, les miasmes plus mortels, les fourrés infestés de
bêtes malsaines, où les buissons de dards vénéneux sont impossibles
à traverser, le rêve est plus horrible encore. On ne distingue plus
dans les roches sculptées que des amoncellements de chairs broyées
et palpitantes, des paquets soubresautants d’entrailles, des
visages sanglants dont on a arraché la peau, un amas confus de
viscères des bords duquel il semble qu’on voit couler du sang.
Par quelle aberration l’art qui est fait pour
réunir les hommes a-t-il si exclusivement célébré chez ces
peuples-là le meurtre et la mort, et si fréquemment aussi chez les
plus civilisés ? Notre cœur bat plus régulier et plus fort
quand nous suivons les Assyriens dans leurs montagnes, quand ils
étranglent des lions dont les muscles de fer se bandent et qui
déchirent de leurs ongles le ventre des chevaux. Nous
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