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L'Art Médiéval

L'Art Médiéval

Titel: L'Art Médiéval Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Élie Faure
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ardeur
amoureuse, ni leur esprit artiste et généralisateur. Leur pensée
est timide, leur caractère indifférent, ils acceptent les croyances
que leur apportent les maîtres successifs qui viennent de l’Ouest.
Leur art ancien dérive de l’art des Indiens, leur art moderne ne
dépasse pas la pratique monotone des industries primitives. C’est
sans doute le contact avec les vents de mer et l’abandon ivre aux
grands courants océaniques qui dégagèrent les Polynésiens de ces
origines apathiques pour faire lever en eux le formidable rêve
interrompu dont les géants de l’île de Pâques sont venus nous
offrir l’énigme. Peut-être étaient-ils allés, bien plus loin
encore, à travers les îles disparues et portés par le flot,
confronter ce rêve avec le soleil oriental dont le rempart de feu
des Cordillères leur cachait la source ? Et peut-être un
gouffre s’était-il ouvert derrière eux pour engloutir leur berceau,
même dans leur souvenir ?

III
    On pourrait le croire, quand on essaie de
retrouver la trace des vieux habitants de l’île morte. Hors de
l’art des Polynésiens, rien ne rappelle plus l’esprit de
l’archaïsme océanien que les formes hiératisantes retrouvées chez
les Aymaras des Andes péruviennes. Là, comme dans l’Égypte du Moyen
Empire, la formule architectonique semblait arrêtée. En échange des
terres distribuées à tous leurs sujets, le socialisme
bureaucratique des Incas avait sans doute exigé d’eux cette
soumission aveugle et définitive des âmes à tout ce qui touchait au
domaine spirituel. Les Aymaras en étaient arrivés à ne plus
chercher dans la nature que des motifs idéographiques
implacablement stylisés.
    Des hiéroglyphes découpés et plats, des images
combinées où de vagues formes humaines apparaissent dans
l’entrelacs précis et mystérieux des figures géométriques,
encadraient les portes monolithes des temples et des palais.
Pizarre a fait fondre et monnayer les statues d’argent et d’or
qu’ils élevaient à leurs héros. Étaient-elles d’un art plus
libre ? Sans doute. Les poteries quichuas du même temps
témoignent d’un charmant esprit populaire. Ces peuples étaient
bons. Ils aimaient les hommes et les bêtes. Ils les regardaient
d’un œil goguenard, mais très doux. Presque tous leurs pots, leurs
bouteilles, leurs alcarazas où l’eau reste froide, avaient pour
becs des têtes d’animaux, des bras, des pattes pour anses, formes
imprévues quelquefois belles, monstrueuses presque toujours,
grotesques, contorsionnées, renflées, écrasées, déviées,
bedonnantes. L’Égypte aussi réservait les formes hiératiques à la
face des sanctuaires et s’attendrissait sur elle-même dans l’ombre
où, comme le Pérou, elle enfouissait ses momies. Elle aimait aussi
donner des formes animales à ses menus objets, terminer les cruches
et les brocs en têtes de chats, de panthères, de chacals, de
cynocéphales, comme les Péruviens les étiraient ou les
aplatissaient en têtes de chiens, de pumas, de canards,
d’alligators. Mais un esprit plus pur, plus haut, était en elle. Et
si l’intention ironique l’entraînait parfois, très discrète, très
effacée, elle n’allait presque jamais jusqu’à la caricature. Au
lieu de tasser ses cadavres dans des vases de terre, elle les
allongeait dans des cuves de granit. Elle avait le culte de la
forme, même par delà la mort, et purifiée jusqu’à l’abstraction.
L’aile de l’esprit l’avait touchée, notre monde en devait
sortir.
    Ici pourtant, ni les ingénieux systèmes
sociaux, ni les grands rêves ne manquaient. Une légende aymara ne
montre-t-elle pas le créateur peuplant le monde de statues qu’il
anime pour leur donner mission de le civiliser ? Nulle part,
dans aucune autre cosmogonie, ce mythe profond ne se trouve. Les
vieux poètes péruviens avaient senti que l’éclair ne jaillit jamais
que du contact de l’âme avec la forme et que c’est aux artistes
qu’il appartient d’introduire dans l’univers plus d’ordre, une
harmonie toujours devenante et projetant sur l’avenir une
réalisation anticipée de notre espoir. Mais le climat meurtrier et
l’aveulissement des populations décimées par les sacrifices
sanglants que les prêtres offraient au Soleil, déjouaient les
prophéties des aèdes et neutralisaient les enseignements des
sociologues les mieux intentionnés. Dans cette Amérique torride et
tremblante, les plus vastes efforts devaient

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