L'assassin de Sherwood
dans une ruelle bordée de maisons dont les pignons se rejoignaient presque au-dessus de leurs têtes. Des gamins pataugeaient jusqu’aux genoux dans le ruisseau, jetant des abats aux chiens ou chassant les pourceaux à l’aide de petites baguettes pointues. Corbett et Ranulf tournèrent le coin, puis s’engagèrent dans un étroit passage qui déboucha devant le couvent.
Un frère lai répondit en bougonnant à leur coup de clochette et les conduisit par des couloirs dallés à la cellule du père prieur. Ce dernier – un homme grand et sévère – ne les accueillit pas chaleureusement, mais au contraire les dévisagea avec une extrême méfiance. Ce n’est qu’une fois lus les mandats et lettres du roi qu’il se radoucit et leur offrit des rafraîchissements que Corbett refusa courtoisement.
Le père Joachim se pencha vers eux en joignant le bout de ses doigts maigres :
— Ainsi vous désirez voir frère William ?
Corbett déploya ses longues jambes.
— Mon père, pourquoi être inquiet ? Je suis l’émissaire de notre souverain. Frère William n’a rien à craindre de moi.
Son interlocuteur déplaça quelques parchemins sur son bureau.
— Frère William obéit aux lois de la Couronne, à présent, insista Corbett. Il n’a plus rien à redouter.
— Ce n’est pas son avis.
Le prieur redressa brusquement la tête :
— Ces derniers mois, depuis le retour de Robin des Bois à Sherwood, frère William a constamment refusé de rencontrer qui que ce soit ou de recevoir des présents. Vous comprenez, Sir Hugh, frère William est l’un des plus célèbres membres de notre communauté. Ses exploits sont devenus légendaires.
— Mais il ne voit personne, à présent ?
— Personne !
— Pourquoi ?
— Je l’ignore.
Le prieur se mordit les lèvres.
— Nous vivons une époque agitée et dangereuse. Frère William devrait peut-être répondre lui-même à cette question.
Il les emmena dans le jardin, après leur avoir fait traverser le cloître et longer la petite église. Un jardinier à la carrure impressionnante, penché sur des plates-bandes de simples, leur jeta un regard noir avant de leur tourner le dos. Ils s’arrêtèrent ensuite devant une cellule isolée, construite en pierres, à la lisière d’un modeste verger. Leur guide frappa à l’huis.
— Qui est-ce ? demanda une voix aiguë.
Le prieur s’annonça. Corbett entendit un pas traînant et la clé que l’on tournait dans la serrure. Puis la porte s’ouvrit brutalement sur un homme de haute taille en robe de bure : un visage maigre et buriné, un long cou décharné, un regard vigilant et étonnamment vif. Le prieur Joachim fit les présentations à mi-voix avant de déclarer qu’il attendrait à l’extérieur. Frère William fit entrer Corbett et Ranulf dans sa cellule exiguë aux murs chaulés, dépouillée à l’extrême. Un grand crucifix dominait la pièce chichement meublée. Corbett remarqua que le franciscain prenait soin de verrouiller la porte avant de leur désigner un banc et d’aller s’installer sur sa paillasse, mince comme une pelure d’oignon.
— Je n’ai rien à vous offrir, dit-il, sa main tannée esquissant un geste d’excuse.
— Nous ne sommes pas venus trinquer !
Il toucha ses cheveux blancs en souriant et s’adressa à Ranulf avec un clin d’oeil :
— Savez-vous qu’autrefois j’avais des cheveux aussi roux que les vôtres, ce qui me valut le surnom d’Écarlate !
Son sourire s’éteignit, il fut sur le qui-vive.
— Vous êtes venus m’interroger ?
— Oui, mon frère. Et d’abord, pourquoi êtes-vous ici ?
— Pour expier mes péchés, prier Dieu et la Sainte Vierge et obtenir miséricorde pour les folies de ma jeunesse.
— Quelles folies, mon frère ?
Frère William fît une petite grimace en détournant le regard.
— Oh, celle d’avoir vécu sans entraves, comme une bête sauvage, murmura-t-il avec un brin de nostalgie, et d’avoir été un bandit de grand chemin, vivant au jour le jour, au gré de mes envies sans penser au lendemain. Dieu m’a châtié. Ma femme est morte et je vois la dextre du Seigneur se lever à nouveau. Quand je mourrai, continua-t-il comme pour lui-même, je ne serai pas enterré ici, mais près d’elle sous le vieil if du cimetière.
— Mais pourquoi vous cacher à présent ?
— Parce que, pour parler franc, j’ai terriblement peur. J’ai vécu avec Robin des Bois ; j’ai fui avec lui,
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