L'assassin de Sherwood

tous les codes sont basés sur quelque chose de concret : titres d’oeuvres, versets des Écritures saintes, noms d’anges ou initiales de villes. Mais ici, c’est différent.
    Ranulf désigna le parchemin d’un doigt sale :
    — Pourquoi est-il si nettement partagé au milieu ? On dirait que Rahere a fait exprès de le plier fortement afin de bien diviser l’échiquier en deux avec quatre rangées de carrés de chaque côté.
    Corbett regarda le parchemin à la lumière du soleil qui se déversait par les fenêtres sans volets.
    — Je me demande si...
    Il bondit sur ses pieds :
    — Écoutez ! Remettez tout en place, comme vous l’avez trouvé. Amisia va bientôt se réveiller. Ranulf ! reste ici pour la réconforter. Fais jurer à l’aubergiste de taire ce que nous avons fait. Promets à Amisia que je lui offrirai aide et protection, mais essaie d’en apprendre plus sur les activités de son frère. Maltote ! Tu repars avec moi au château.
    Il se replongea dans ses pensées, le parchemin fermement tenu dans sa main crispée.
    Puis il reprit la route de la forteresse, Maltote traînant derrière lui. Ils gravirent l’escalier de Brewhouse menant à la poterne et rasèrent les murs en veillant à n’être ni importunés ni arrêtés. Pour la première fois depuis son arrivée à Nottingham, Corbett ressentait une certaine allégresse : il réussirait peut-être à décoder le fameux message ! Il rit discrètement en pensant que c’était le propre agent du roi Philippe qui lui en avait fourni la clé.
    De retour dans ses quartiers, il installa son écritoire et ses plumes sur la table, puis ordonna à Maltote de l’aider à dessiner rapidement des échiquiers.
    — Fais attention ! insista-t-il. Ce doit être un carré parfait, huit sur huit.
    Puis il écrivit les noms des pièces d’échecs dans les cases. Maltote, qui l’avait regardé faire un moment, se lassa vite et alla s’étendre sur son lit pour contempler le plafond et se demander ce que faisait Ranulf et combien de temps encore ils allaient devoir rester dans ce maudit château. À l’autre bout de la pièce, son « Maître Longue Figure » jetait par terre des parchemins, les uns après les autres, en murmurant jurons sur jurons et en se grattant la tête. Le soleil déclina sur l’horizon. Des serviteurs, montés les avertir que le souper était prêt, se virent renvoyés.
    Ranulf rentra, éméché, et déclara d’une voix tonitruante que Lady Amisia s’était sentie réconfortée et rassérénée par les garanties offertes.
    — Surtout celles de Sir Hugh Corbett, garde du Sceau privé ! vociféra-t-il.
    Corbett, plongé dans ses recherches, ne lui prêta même pas attention.
    — N’allons-nous pas nous mettre quelque chose sous la dent ? gémit Ranulf.
    — Pas dans ce château ! décréta Corbett. Serrez-vous la ceinture et pensez aux festins qui vous attendent à Londres.
    Avec un haussement d’épaules, Ranulf sortit les dés de son escarcelle et entreprit d’initier Maltote aux finesses du jeu pipé.
    Enfin, au moment où ils commençaient à désespérer, Corbett grommela :
    — Ça y est ! J’ai trouvé ce diable de code !
    Ranulf et Maltote s’approchèrent nonchalamment de leur maître aux yeux rougis par la fatigue.
    — La solution est là, sur cet échiquier.
    Il allait continuer lorsqu’on frappa violemment à la porte.
    — Oui ! cria-t-il.
    Sir Peter Branwood, suivi de Roteboeuf, entra en coup de vent.
    — Sir Hugh, tout va bien ?
    Corbett fixa le parchemin :
    — Oh oui, Sir Peter ! Je pense que tout va pour le mieux.
    Il adressa au shérif un petit sourire d’excuse.
    — Je suis désolé, nous avons à nous occuper d’une autre affaire qui ne concerne pas le hors-la-loi.
    Branwood parut pris de court.
    — Je vous expliquerai tout cela plus tard, ajouta Corbett d’un ton égal.
    — Voulez-vous des rafraîchissements ?
    — Non, non, nous avons assez bu.
    Branwood, l’air vexé, se dirigea vers la porte.
    — Sir Peter !
    Il se retourna, la main sur la gâche.
    — Oui, Sir Hugh ?
    — Pourquoi Lecroix se serait-il pendu dans la cave ? demanda brusquement Corbett.
    — Dieu seul le sait ! Rappelez-vous que le château était attaqué. Peut-être se sentait-il plus en sécurité en bas.
    Corbett acquiesça distraitement :
    — Oui, oui ! C’est probablement cela.
    Le shérif parti, Corbett revint à son esquisse d’échiquier.
    — Oubliez cette