L'assassin de Sherwood
amusa Corbett :
— Nous ignorons si nos conclusions sont exactes ou non. Nous ne le saurons que lorsque le roi Philippe donnera l’ordre d’attaquer. De toute façon, c’est toi qui tireras les marrons du feu : je signalerai à notre gracieux souverain que ta participation dans cette affaire fut décisive.
— Et si nous avons fait fausse route ? s’écria le jeune homme, toujours pessimiste quant à l’avenir.
— En ce cas, Ranulf-atte-Newgate, il sera trop tard. Le roi t’aura donné sa promesse solennelle de te nommer clerc de la Chancellerie royale.
Ranulf survola quasiment les marches. Lorsque Maltote et lui eurent quitté l’enceinte de la forteresse, il jura ses grands dieux qu’une fois appelé à un poste de haut rang, lui, Ranulf-atte-Newgate, n’oublierait jamais ses amis.
Ils rendirent visite à Amisia, à la taverne. Ranulf lui présenta à nouveau ses condoléances et glissa quelques pièces de plus à l’aubergiste pour que l’on procédât à la toilette mortuaire de Rahere et que sa dépouille fût mise en bière et transportée à St Mary pour y être enterrée.
— Que va-t-il advenir de moi ? sanglotait Amisia, assise au bord du lit, son beau visage livide gonflé de larmes.
Maltote, cette âme sensible, la contemplait, le coeur empli de compassion, tout en admirant la délicatesse avec laquelle Ranulf la réconfortait.
— Ne vous mettez pas martel en tête ! Mon « Maître Longue Figure », Sir Hugh Corbett, expliquait-il, est un homme influent à la Cour. Dites-moi, votre frère était-il propriétaire de biens meubles ou immeubles en Angleterre ?
Il se mordit la langue : où Simon Rahere aurait-il pu détenir des propriétés ? Mais Amisia sembla ne rien avoir remarqué. Elle se balançait doucement, les yeux clos.
— Nous possédions un petit pécule, provenant de la vente de la maison de mon père, et Rahere ne manquait jamais d’or ni d’argent.
— Qui le lui fournissait ?
— Un banquier lombard : Luigi Baldi. Oui, c’est cela : Luigi Baldi.
Amisia ouvrit les yeux :
— Il a des comptoirs à Londres, dans le quartier de Lothbury.
— Bien, voici ce que nous allons faire, lui proposa Ranulf avec aplomb. Vous logerez à Londres chez les clarisses, près d’Aldgate, tandis que j’irai voir Luigi Baldi pour m’assurer que votre héritage est en bonnes mains.
Ranulf quitta la taverne, fier comme un paon.
— Mais as-tu le droit d’agir ainsi ? s’inquiéta Maltote. Rahere était un traître. Son corps devrait se balancer au gibet et ses biens être confisqués par la Couronne. Je le sais, ajouta-t-il sur un ton de défi, je l’ai appris de Sir Hugh !
— La loi, c’est une chose, les décisions de Sir Hugh, une autre ! décréta Ranulf, l’air hautain. Certes, notre vieux maître semble être roide comme la barre d’un huis et avoir un coeur de pierre, mais rappelle-toi ce que je te dis : le coupable mort, il laisse courir...
Lèvres pincées, Ranulf reprit sur un ton sentencieux :
— En outre, si ses déductions se sont avérées exactes, le roi lui octroyera ce qu’il désirera. Mais, de toute façon, souligna Ranulf en tirant Maltote par la manche, nous, clercs de la Chancellerie, nous jouissons d’une influence considérable dans ces résolutions.
Lorsqu’ils revinrent au château, chargés de victuailles, ils trouvèrent Corbett plongé dans ses « gribouillages », comme les appelait Ranulf. Le clerc prit le temps de manger un peu de pain et de fromage, arrosé de vin, avant de se remettre au labeur. Ranulf lui demanda l’autorisation de se promener avec Maltote autour de la forteresse. Corbett releva sa tête ébouriffée et lui ordonna sèchement de ne pas bouger. Les deux serviteurs jouèrent quelque temps aux dés. La nuit survint et le château retomba dans le silence que brisèrent seulement les tintements d’une cloche ou les appels des sentinelles sur le chemin de ronde. Ranulf et Maltote s’enveloppèrent dans leurs capes et dormirent par intermittence. Chaque fois qu’ils se réveillaient, ils voyaient Corbett assis à la table, éclairé par les bougies, écrivant avec frénésie ou examinant un parchemin, tête reposant dans les mains.
Ils se levèrent au point du jour, les yeux battus. Les traits gris de fatigue, Corbett leur fit préciser certains détails, puis revint à la table y continuer ses « gribouillages ». Il les autorisa à descendre en ville, où ils ne lièrent
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