L'assassin de Sherwood

nul ne pouvait nous nuire. Car à qui nous fier ? Même pas à vous, l’émissaire du roi.
    Corbett donna une bourrade au géant.
    — Mais c’est toi qui lançais les flèches enflammées ?
    Un large sourire illumina le visage de Petit Jean, découvrant des dents bien écartées.
    — Trois flèches, souligna Corbett. Le 13 de chaque mois. Ton requiem pour Robin, n’est-ce pas ?
    — En effet, c’est bien lui, répondit frère William. Il se glissait par une poterne et tirait dans la nuit. Un rappel au meurtrier et en même temps une prière, trois fois récitée, pour que Dieu accueille en son paradis l’âme de notre compagnon.
    — Mais vous ignoriez l’identité de l’assassin ? reprit Corbett. Et c’est là où résidait l’habileté démoniaque de ce plan. Mère Elizabeth ne pouvait dévoiler le décès de Robin. Qui l’eût crue ? D’aucuns, sachant son aversion pour son parent, l’auraient peut-être accusée de n’y être pas étrangère. Petit Jean nourrissait certains soupçons, mais en tant que hors-la-loi, il pouvait être abattu à vue. Frère William manquait de preuves. Et, comme il l’a déclaré, les anciens de la bande qui soupçonnaient quelque chose passaient de vie à trépas, comme leur chef. A présent, Monseigneur, s’exclama Corbett en s’approchant vivement du haut bout de la table, deux hommes pour encadrer chacun de ceux-là !
    Et il désigna Sir Peter, son secrétaire Roteboeuf et Naylor.
    Corbett, lui-même, dégaina son poignard et se tint derrière le sergent corpulent. Branwood était prostré sur son siège, Roteboeuf clignait des yeux comme un lapin apeuré, mais Corbett vit Naylor glisser ses mains le long de sa hanche.
    — Les mains sur la table ! s’écria-t-il.
    Le sergent lorgna par-dessus son épaule. Les soldats du comte accoururent. Naylor s’exécuta à contrecoeur. Lincoln aboya des ordres. Branwood, Naylor et Roteboeuf n’opposèrent aucune résistance quand on leur retira leurs épées.
    — Au château, expliqua Corbett, Sir Eustace Vechey a dû penser qu’un cauchemar recommençait. Il avait combattu Robin autrefois. Et voici que le hors-la-loi revenait, multipliant les méfaits. A mon avis, Vechey ne savait pas ce qui s’était passé, mais voyant redoubler les pillages de Robin, il se douta de la présence d’un traître haut placé. C’était un personnage solitaire et soupçonneux qui n’avait confiance en personne, mais sa langue, comme son esprit, s’égarait de plus en plus. Peut-être se permit-il des allusions à peine voilées, ou fut-il trahi par une lueur dans le regard ou une expression du visage. Toujours est-il qu’il fut condamné à périr, et que vous, Sir Peter, l’avez assassiné comme vous avez assassiné Robin des Bois et pris sa place dans la forêt de Sherwood.
    — Billevesées ! hurla Branwood en essayant de reprendre l’avantage. Monseigneur, ce clerc divague, il est fou à lier !
    Ses protestations étaient démenties par ses mimiques et par les gouttes de sueur qui ruisselaient sur ses joues. L’un des chevaliers de Lincoln l’agrippa par l’épaule et le repoussa sur son siège.
    — Oui, Sir Peter, vous êtes un assassin, continua Corbett d’une voix égale, en l’observant de l’autre côté de la table. Vous haïssiez Robin de Locksley pour vous avoir humilié. Vous n’acceptiez pas que le roi lui eût octroyé cette amnistie et, je suppose, méprisiez notre souverain pour avoir montré tant de mansuétude envers un homme que vous auriez, vous, abattu sans sourciller. Sir Eustace et vous-même avez reçu la lettre de la Chancellerie de Westminster, vous annonçant le retour de Robin sous protection royale. Vous avez noté les dates et préparé une embuscade. Vos deux acolytes, Naylor et Roteboeuf, furent de mèche avec vous. Je suis convaincu que, lorsque j’aurai fini mon récit, l’un de vous aura la sagesse de le confirmer et de témoigner contre ses complices. Vous avez massacré William Goldberg et le nommé Thomas, et laissé Robin de Locksley pour mort.
    « Peut-être, Sir Peter, aviez-vous décidé, au début, de vous en tenir là, mais vous avez vite compris quel champ de possibilités s’offrait à vous. Quelle manière éclatante de vous venger de son nom et de sa réputation, ainsi que du roi lui-même, tout en vous remplissant les poches ! Et cela était si facile ! Qui allait apporter la preuve de vos méfaits ? Tous, de notre monarque au plus humble serf de