L'assassin de Sherwood
bagages et se préparer pour le banquet de ce soir. Quant à toi, Ranulf...
Il prit son serviteur par le coude et l’entraîna dans l’escalier en lui chuchotant ses instructions. Puis il regagna sa chambre et revêtit ses habits d’apparat. Il enveloppa ensuite certains objets dans sa cape et se rendit dans la grand-salle pour assister à ce que Branwood appelait pompeusement le « banquet de la victoire ».
L’assistant shérif avait fait de son mieux pour embellir la grand-salle : on avait nettoyé le sol, suspendu des tapisseries et descendu la longue table de l’estrade pour pouvoir loger tous les gens de Branwood aux côtés de Lacey, de Corbett, de Ranulf et de la prieure qui arborait une mine très grave. La lumière tremblotante des torches murales luttait contre la pénombre tandis que des bougies jetaient, sur les nappes blanches, des ronds de lumière.
Les cuisiniers de Sir Peter s’étaient surpassés : ragoût de mouton aux olives, venaison des domaines royaux, poule au pot farcie aux raisins, paon paré, nombreuses tourtes, galantines de brochet, légumes au beurre et les meilleurs crus du château. Tous, à l’exception de Corbett, firent honneur au festin, mais Lincoln surveillait le clerc du coin de l’oeil, flairant un mystère. Après que l’on eut desservi les plats principaux, Sir Peter se leva et prononça un charmant discours de bienvenue en l’honneur du comte de Lincoln, au cours duquel il porta un toast à ses prouesses guerrières.
— Eh bien, Corbett, conclut Branwood en souriant, cette grande idée est de vous. Que proposez-vous, à présent ?
— Un conte ! déclara le clerc en s’adressant à la ronde.
Il repoussa sa chaise et prit appui sur le dossier.
— Il y a de cela maintes années, ce royaume était déchiré par la guerre civile.
Corbett lorgna vers Lacey qui s’agita, mal à l’aise.
— Simon de Montfort, comte de Leicester, se rebella contre la Couronne. Montfort avait un rêve, qui se transforma en un cauchemar de trahison et de félonie, l’idée que tous les hommes étaient égaux devant la loi. Montfort fut défait, mais l’un de ses partisans, Robin de Locksley, poursuivit son rêve en ne négligeant pas, toutefois, son avantage personnel.
« Robin s’éleva contre la dureté des lois forestières et, devenu hors-la-loi, il dévalisa les riches pour secourir les pauvres. Il combattit chevaliers, shérifs, verdiers, hommes d’armes, mais jamais, à ma connaissance, il ne leva la main sur une femme, un enfant ou un innocent.
Corbett observa les convives silencieux, à présent. Branwood semblait intrigué, Naylor lugubre, Roteboeuf se tenait la tête dans les mains, le mire paraissait à demi assoupi, mais frère Thomas l’écoutait attentivement, comme le comte de Lincoln et la prieure qui, à en juger par ses joues cramoisies, avait bu plus que de coutume pour dissimuler sa gêne. Corbett regarda au fond de la salle où s’étaient rassemblés les officiers de Lincoln et les chevaliers du shérif. Ranulf, posté près de la porte, lui fit un signe de tête imperceptible, ses traits illuminés par la torche murale crachotant au-dessus de lui. À voir l’expression de son visage, Corbett devina que d’autres gardes attendaient dans l’ombre.
Il prit une profonde inspiration :
— La réputation de ce hors-la-loi ne fit que croître et lorsque notre souverain vint dans les provinces du Nord, il lui octroya une amnistie. Robin l’accepta et la bande se dispersa : Petit Jean, son lieutenant, regagna son village de Haversage, Will l’Écarlate se fit franciscain et Lady Mary, sa bien-aimée, se réfugia au prieuré de Kirklees. Robin s’en alla guerroyer en Écosse, mais, vite lassé des tueries, demanda au roi à être libéré de son service. Notre souverain, qui n’a jamais su résister à un joyeux coquin, lui accorda l’autorisation de rentrer chez lui et fit parvenir, en même temps, copie de cette lettre à Sir Eustace Vechey et à Sir Peter Branwood, shérifs de Nottingham. Robin arriva avec deux compagnons, William Goldberg et un certain Thomas.
— Deux compagnons ? s’étonna frère Thomas.
— Oui, il en est fait mention dans le sauf-conduit.
— Nous sommes tous au courant, interrompit Naylor. Ensuite, pour une raison inconnue, il a renié sa parole et a repris sa vie d’antan dans la forêt de Sherwood.
— Ah, détrompez-vous ! reprit Corbett en souriant. Robin est bien revenu, mais pour être
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