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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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Liddil, Wood Hite, Jim Cummins, Ed Miller et
Charley Ford chuchotaient et fumaient à côté de lui, assis ou accroupis, leurs
fusils sur les cuisses, pointés vers le ciel, le doigt sur la détente. Rassemblés
autour de Jesse, les gars de Cracker Neck, métayers maladifs et autres
traîne-misère, avaient reçu pour instructions de se répartir au sommet du talus
nord et respectaient plus ou moins diligemment la consigne : étirés assez
loin le long de la voie, ils n’avaient pas tardé à s’ennuyer et se regroupaient,
tenaient conciliabule, se tapaient des cigarettes, se débandaient, s’entrecroisaient
périlleusement dans le noir au milieu des bois.
    « Ces commères vont trébucher et s’émasculer
à coups de fusil, commenta Frank.
    — Je parie que je réussirais quand même à
leur dénicher des maris », blagua Dick Liddil, ce qui tira un sourire à
Frank.
    Jesse regarda sa montre à la lueur de la
lanterne. Les deux aiguilles étaient presque sur le IX.
    « On a attaqué le même train il y a deux
ans, sauf qu’on était montés à bord à Glendale, déclara-t-il.
    — Je sais, répliqua Bob, un rien agacé et
condescendant. Vous n’en avez pas conscience, mais je suis une mine d’informations
sur la bande des frères James. Ce n’est pas pour dire, mais j’ai suivi vos
carrières de près. »
    Bob avait découpé deux trous pour les yeux
dans un mouchoir blanc, dont il glissa les deux coins supérieurs sous son tuyau
de poêle afin de ne laisser apparaître que sa bouche et son menton. Toutefois, l’un
des trous était un peu bas et trop proche de l’autre, de sorte que ce masque
donnait l’impression malencontreuse que Bob louchait – ce qui n’était
aucunement son intention.
    Jesse le considéra avec curiosité, mais s’abstint
de prescrire la moindre modification. Ses préoccupations étaient selon toute
apparence d’ordre historique.
    « Tu sais ce qui s’est passé il y a cinq
ans jour pour jour ? Jour pour jour, le 7 septembre 1876 ?
    — Vous avez tenté de dévaliser la banque
de Northfield, dans le Minnesota », répondit Bob. Il fouilla dans sa
mémoire, puis ajouta : « Elle appartenait au général Ben Butler, c’est
ça ? Le fléau de La Nouvelle-Orléans ?
    — Exact.
    — Je le savais.
    — Bill Chadwell, Clell Miller et Charlie
Pitts se sont fait abattre sur place. Et les Younger ont fini en prison peu
après. C’est un souvenir douloureux.
    — Et vous êtes repartis de cette banque
sans un seul dollar », souligna inutilement Bob.
    Le visage de Jesse ne laissa transparaître
aucune réaction.
    « Tu vois donc pourquoi cette date a un
parfum particulier pour moi », conclut-il.
    Soudain, tel un animal aux sens affûtés, Jesse
sembla percevoir un son et se tourna brusquement vers l’est pour l’identifier
et l’apprécier avant d’empoigner sa lanterne et de dévaler le talus, couvrant
trois mètres en trois profondes foulées dans des gerbes de terre. Il décrotta
ses bottes en tapant du pied (une douleur parcourut sa cheville blessée) et
secoua le bas de son pantalon, puis s’agenouilla pour écouter le bruit de la
locomotive que véhiculaient les rails. L’acier poli par l’usure était tiède
contre son oreille et lisse comme une cuillère. Le bourdonnement évoquait des
insectes enfermés dans un bocal.
    « Pile à l’heure, Buck », annonça-t-il
à son frère.
    Frank fumait une énième cigarette et
divertissait Dick Liddil et Charley Ford en leur récitant de longs passages de Henry V.
    « “Mais si c’est un péché de convoiter l’honneur,
je suis le plus coupable des vivants”, termina-t-il.
    — Combien t’en as mémorisé ? se
renseigna Dick Liddil.
    — Plus de mille vers.
    — Mais tu es un érudit !
    — Tu l’as dit, acquiesça-t-il en
éteignant sa cigarette contre l’écorce rugueuse d’un arbre. Vous feriez bien de
rejoindre Jesse. »
    Celui-ci releva son foulard sur son nez dès qu’il
discerna la cadence de la locomotive et posa une botte sur le rail pendant que
Dick Liddil jurait et râlait en dégringolant le talus sud, cramponnant la
végétation pour se freiner. Il se noua un foulard rouge sur la bouche et s’approcha
d’un pas tranquille en époussetant sa chemise beige et son pantalon marron, si
long par rapport à ses jambes et si plissé à force d’être porté en permanence
qu’il ressemblait à deux concertinas siamoises.
    Le halètement de la locomotive s’amplifiait.

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