L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

bons voisins, l’assura le vendeur. Polis, respectables,
toujours un mot gentil pour chacun.
    Bob reprit Lafayette Street, puis eut soudain
une autre idée. Il s’engouffra dans une série de ruelles, coupa à travers
plusieurs magasins et atteignit le bureau du télégraphe, où, pendant de longues
minutes, voûté au-dessus d’un pupitre incliné, il composa et recomposa une
vingtaine de télégrammes à l’adresse du gouverneur Crittenden ou du commissaire
Craig.
    Bob pouvait être un orateur volubile, voire
grandiloquent, mais écrire était pour lui un supplice : le mot juste
semblait se dérober à lui dès qu’il saisissait un crayon, difficulté à laquelle
venait s’ajouter la conscience aiguë qu’il n’avait pas grand-chose à rapporter.
Il inventoria les chances qu’il avait eues de capturer Jesse et n’en
comptabilisa que deux : une fois où, alors qu’il longeait la fenêtre de la
cuisine, il avait remarqué Jesse endormi sur une chaise ; et une autre où
Jesse avait retiré ses ceinturons pour récurer un lavabo et où Tim se les
étaient bouclés autour de la taille. Mais Zee repassait un chemisier près de
Jesse alors qu’il dormait et un coup de feu l’eût touchée au sein gauche ;
et à la seconde occasion, Bob non plus n’avait pas de pistolet et s’attaquer à
Jesse par tout autre moyen était pour lui inconcevable.
    Car Jesse était futé, il avait de l’intuition,
il anticipait tout. Il regardait sans cesse derrière lui, il avait l’œil sur
les miroirs, il fermait la porte de sa chambre à clé la nuit, il percevait le
moindre chuchotis porté par le vent, il était capable de déceler le plus infime
double sens aux paroles de quelqu’un, il lisait probablement l’irrésolution et
la perfidie sur le visage de Bob. Un jour, il avait annoncé la valeur et la
couleur d’une carte à jouer qui voletait au milieu de la rue à un pâté de
maisons de distance ; une fois, après que sa fille se fut coupée au doigt,
il avait léché la plaie et, le lendemain, l’enfant ne présentait plus aucune
marque ; un après-midi, il avait défié à la lutte son fils et les deux
Ford en même temps et c’était tout juste s’ils étaient parvenus à le
déséquilibrer quelques fois – c’était comme se colleter avec un arbre. Quand
Jesse prédisait la pluie, il pleuvait ; quand il encourageait les plantes,
elles poussaient ; quand il narguait les bêtes, elles battaient en
retraite ; quand il cherchait à impressionner, il stupéfiait.
    Aussi certains des brouillons de Bob
étaient-ils des justifications, d’autres des clarifications, beaucoup d’autres
encore des pronostics quant à la date où le criminel serait « retiré de la
circulation » ; pour finir, il opta pour un message chiffré à l’intention
du shérif Timberlake, à qui il donnait des détails sur leur lieu de résidence à
St Joseph et sur l’attaque de la banque de Platte City le 4 avril. Tout en
le rédigeant, il ne put s’empêcher de penser à George Sheperd qui, après avoir
envoyé un télégramme en ville, avait été accueilli par un barrage de coups de
feu à son retour au camp.
    Il ne fallut que cinq minutes au télégraphiste
pour coder le message, puis le transmettre, mais Timberlake ne le reçut que
deux heures plus tard, car il assistait à une audience du tribunal d’Independence
en tant qu’expert. Néanmoins sitôt averti, le shérif agit avec une grande
célérité et prit des dispositions afin qu’un détachement de cinquante adjoints
à cheval fût prêt à embarquer dans deux wagons de marchandises le 4 au lever du
soleil en vue d’encercler la banque de Platte City une fois Jesse James et sa
bande à l’intérieur. Timberlake poussa la prévoyance jusqu’à ordonner qu’on tînt
allumée et sous pression la chaudière d’une locomotive de la Hannibal and St Joseph
à la rotonde du dépôt de Kansas City, de manière à pouvoir foncer à Platte City
ou à St Joseph sans délai. Puis, avec la satisfaction d’avoir pris toutes
les mesures appropriées, le 30 mars au soir, le shérif dîna en compagnie du
commissaire Craig et ils trinquèrent à leur victoire, qui ne semblait plus qu’à
quelques jours de distance.
    Le gouverneur
Crittenden accorda cette semaine-là à un journal un entretien dans lequel il s’enorgueillit
du nombre de membres de la bande des frères James qui étaient déjà derrière les
barreaux ou devant les tribunaux et alla jusqu’à affirmer