L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

traces rouges et
saturée de sang en son milieu et au voisinage de l’ourlet. Une grosse femme en
tricot avait un bras autour des épaules de la veuve et une jeune fille de douze
ans était accroupie auprès des enfants. Zee avisa John Leonard et remarqua qu’il
enregistrait tout ce qu’il voyait.
    « Je vous en prie, ne parlez pas de ça
dans le journal, l’implora-t-elle.
    — Je crains que ce ne soit mon travail »,
rétorqua-t-il.
    Le coroner apparut sur le pas de la porte et
interrogea Zee :
    « Pourrais-je avoir votre nom, s’il vous
plaît ?
    — Mrs Howard.
    — Est-ce là le corps de votre mari ? »
    Zee hocha la tête.
    Le journaliste de la Gazette retourna
dans le séjour comme Enos Craig et les deux frères Ford faisaient leur entrée.
« Vous savez qui l’a tué ? » s’informa le coroner dans la
chambre. Leonard entendit Zee répondre : « Nos deux cousins, les
Johnson. »
    Le marshal Craig considéra la dépouille de l’homme
robuste, vêtu avec allure, qui gisait sur le sol et se campa à côté de Leonard.
    « Vous savez qui c’est, d’après eux ?
    — Un type du nom de Howard. »
    Craig secoua négativement la tête.
    « Ces gosses prétendent que c’est Jesse
James.
    — C’est pas vrai ! »
    Le marshal aperçut la veuve dans la chambre et
ôta son large chapeau blanc avant de s’approcher d’elle. Enos Craig était un
homme hâve et sévère de cinquante-trois ans qui louchait de l’œil gauche et
lissait sans cesse son impressionnante moustache grise avec un mouchoir rouge. S’il
n’avait aucun lien de parenté avec Henry Craig, il était en revanche le frère
cadet du général de brigade James Craig, membre du Congrès, et savait, dans les
circonstances exceptionnelles, faire preuve de la même onction que celle dont
était coutumier son frère. Il foudroya du regard la grosse femme et la jeune
fille jusqu’à ce qu’elles quittent la pièce, puis s’assit sur le matelas à côté
de Zee.
    « Mrs Howard ? fit-il d’une
voix affable et rassurante. Il se raconte que votre nom n’est pas Howard, mais
James et que vous êtes l’épouse de l’illustre Jesse James. »
    Zee fronça les sourcils.
    « Je n’y peux rien, à ce qu’on raconte.
    — Les deux garçons qui ont tué votre mari
sont là. Ils m’assurent qu’il s’agit de Jesse James. »
    Elle le dévisagea avec stupeur.
    « Vous ne voulez tout de même pas dire qu’ils
sont revenus ? »
    Zee s’affaissa contre l’épaule de Craig, secouée
de sanglots et le marshal caressa ses fins cheveux blonds. Il lui souffla
quelques paroles de réconfort, puis reprit :
    « Vous savez, vous auriez l’esprit bien
plus tranquille si vous confessiez la vérité. Les gens auraient la plus haute
opinion de vous ; vos enfants ne manqueraient plus jamais de rien. »
    Elle s’essuya les yeux sur sa manche, telle
une enfant.
    « Je veux le voir.
    — Comment ça ?
    — Je veux voir mon mari.
    — Appuyez-vous sur moi. »
    Craig et Zee passèrent ensemble dans le séjour.
Bob se fit tout petit à la vue de Zee et Charley battit en retraite vers la
porte treillissée.
    « Lâches ! Espèces de serpents ! »
s’écria-t-elle. Elle bondit vers eux, mais le marshal la retint. « Comment
avez-vous pu tuer votre ami ? » hurla-t-elle en se débattant.
    Charley vida les lieux la tête basse et Bob
lui emboîta le pas, claquant la contre-porte derrière eux. John Leonard s’élança
à leur suite et se dirigea vers le plus maladif des deux frères, celui à la
moustache embryonnaire, qui se roulait une cigarette, accroupi contre la
clôture blanche.
    « Vous voulez dire que c’est vraiment
Jesse James ?
    — C’est pas ce qu’on répète depuis qu’on
est arrivé ? »
    Toute l’assistance les reluqua du coin de l’œil
et un gamin descendit la rue en annonçant à tue-tête la nouvelle qu’il venait d’entendre
à tous ceux qu’il croisait. Bob rejoignit Leonard et Charley en se tapotant la
paume avec un bâton.
    « Qu’on lui enlève l’anneau en or qu’il
porte au doigt, suggéra-t-il. Vous trouverez le nom de Jesse James gravé à l’intérieur. »
    Leonard nota cela, puis se retourna vers
Charley.
    « Pourquoi l’avez-vous tué ? »
    Bob intervint :
    « Réponds : nous voulions
débarrasser ce pays d’un hors-la-loi sanguinaire et malfaisant. »
    Charley sourit avec approbation et se tordit
le cou pour jeter un coup d’œil aux notes sténographiées