L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
prononça une syllabe qui
ressemblait à « Dieu », puis tout en lui cessa.
Charley revint rôder dans la maison pour
récupérer son chapeau et sa veste, ainsi que ceux de son frère et jeter un
dernier coup d’œil à l’homme qu’ils avaient assassiné.
« Le coup est parti par accident », prétendit-il
à Zee.
Puis il ressortit et les deux frères Ford
dévalèrent Confusion Hill, leurs vestes flottant derrière eux, coupèrent à
travers les jardins et par les petites rues jusqu’à ce qu’ils atteignissent le
bureau de l’American Telegraph, d’où ils expédièrent au shérif Timberlake, à
Henry H. Craig et au gouverneur Thomas Crittenden le bref message suivant :
« J’AI TUÉ JESSE JAMES. BOB FORD. »
TROISIÈME PARTIE
Folklore
6
Avril 1882-avril 1884
Par ma fenêtre, moins
d’un demi-kilomètre à l’ouest, je distingue une petite maison jaune qu’une
foule est en train de démantibuler. Cette maison, c’est celle de Jesse James, le
célèbre bandit et meurtrier, abattu la semaine dernière par un de ses petits
camarades, et tous ces gens sont des chasseurs de reliques. Sa poubelle et son
décrottoir ont été mis aux enchères hier, son marteau de porte sera vendu cet
après-midi avec un prix de réserve avoisinant les revenus d’un évêque anglican.
[…] Les Américains vouent assurément un grand culte aux héros, et ils
choisissent toujours les leurs parmi la caste criminelle.
Oscar Wilde
dans une lettre postée de St Joseph datée du 19 avril 1882
Ensuite, les frères
Ford coururent jusqu’au bureau du marshal Enos Craig pour se constituer
prisonniers, mais un homme leur apprit que Craig était allé boire un café et qu’un
adjoint venait d’être dépêché à Confusion Hill, car une femme avait signalé par
téléphone un coup de feu dans Lafayette Street. L’homme s’apprêtait à s’enquérir
de ce qu’ils voulaient au marshal, mais les deux autres étaient repartis vers l’est
au pas de course et avaient rejoint le marshal adjoint James Finley alors qu’il
allait se lancer à la poursuite des deux cousins de la victime.
Charley toussait sous l’effet de tous ces
efforts, aussi fut-ce Bob qui fit les présentations une fois qu’il eut retrouvé
son souffle, avant d’indiquer :
« C’est moi qui ai tué l’occupant de cette
maison. Si je ne m’abuse, il s’agit de Jesse James, le fameux hors-la-loi. »
Ces aveux étaient si froids et si prétentieux,
si exempts de remords ou de justification que Finley soupçonna quelque canular
idiot ou quelque manœuvre visant à interrompre ses recherches. Et pourtant, Bob
persista dans ses dires et s’entêta à énumérer divers objets qui portaient le
nom ou les initiales de leur propriétaire, à dépeindre des cicatrices et des
traits physiques de Jesse qu’il tenait erronément pour connus de tous.
Sur ces entrefaites parut le marshal Enos
Craig, qui gravissait Lafayette Street en compagnie du Dr James W. Heddens, le coroner
du comté de Buchanan, et de John H. Leonard, un chroniqueur judiciaire de la Gazette de St Joseph, et Bob délaissa le marshal adjoint pour se ruer
à leur rencontre. Bob demanda à s’entretenir en privé avec Craig, qui s’attarda
sur le trottoir tandis que l’expert légiste et le reporter gagnaient le
pavillon.
Des curieux, des voisins et des enfants
étaient rassemblés dans le jardin par groupes de deux ou trois ; certains
regardaient dans le séjour par les fenêtres. Heddens et Leonard entrèrent et
découvrirent le corps sur le tapis vert, la paupière gauche close, l’œil droit
ensommeillé, la bouche entrouverte. Une redingote, un gilet et deux revolvers
reposaient sur un lit en chêne ; la pièce sentait la poudre. Le Dr Heddens
s’agenouilla afin de plaquer son oreille contre la poitrine de l’homme, lui
souleva le poignet afin de confirmer l’absence de pouls. Il examina quelques
vilaines lacérations au niveau de l’arcade sourcilière, retira une compresse
imbibée de sang pour inspecter une plaie à la tête de la taille d’une pièce de
monnaie.
« Tu sais qui c’est, John ? »
se renseigna-t-il auprès du journaliste.
Leonard inventoriait le séjour en prenant des
notes.
« Pas la moindre idée », répliqua-t-il.
Une jolie fille de seize ans sortit d’une
pièce adjacente.
« Son épouse est là », leur dit-elle.
Zee était assise sur le large lit et pleurait,
le visage dans les mains. Sa robe en calicot était maculée de
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