L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
produire, leur confia-t-elle. Les dernières paroles qu’il m’ait
dites étaient : “Maman, si jamais nous ne revoyons pas sur cette terre, nous
nous retrouverons au ciel.” »
Ayant l’habitude des journalistes, elle marqua
une pause afin de les laisser coucher ses propos sur le papier, puis reprit ses
vitupérations contre le gouvernement et ses illustrations rageuses de la
charité et de la bonté de son fils.
Ils atteignirent le tribunal du comté alors
que le marshal adjoint James Finley achevait sa brève déposition et que le
coroner Heddens s’apprêtait à proclamer une suspension d’audience. Les frères
Ford furent escortés hors du tribunal par l’antichambre du juge afin d’éviter
la presse, si bien qu’ils manquèrent l’entrée magistrale et fracassante de Mrs Samuels
en robe noire et en chapeau de soleil à voilette. Comme elle s’installait à
côté de Mrs James et de ses deux enfants, elle aperçut Dick Liddil, effondré,
sur un banc latéral, et se leva aussitôt sous le regard du vaste public de la
salle d’audience, agita son bras droit mutilé de manière accusatrice en
direction de Dick et se répandit en imprécations contre lui :
« Espèce de lâche ! Tout ça, c’est
ton œuvre, c’est toi le responsable ! Regarde-moi, sale traître ! Regarde
cette mère brisée, regarde cette malheureuse épouse et ses enfants ! Tu
mériterais bien plus que mon fils d’être dans cette glacière plutôt que là, sous
mes yeux ! Lâche que tu es, Dieu se vengera de toi ! »
Toute la salle s’efforça de voir la réaction
de Dick, certains allant même jusqu’à monter sur leur siège ; Dick regarda
autour de lui avec un air confus et contrarié, puis protesta faiblement :
« Ce n’est pas moi qui l’ai tué. Je
croyais que vous saviez déjà qui c’était… »
Henry Craig lui adressa un regard depuis l’autre
bout de la salle et porta l’index à ses lèvres avec paternalisme. Le coroner
Heddens coupa judicieusement court à l’algarade en appelant la mère, puis l’épouse
enceinte du défunt à la barre afin qu’elles déclinent leur nom ainsi que leur
lieu de résidence actuel et confirment l’identité de la victime. Enfin, ayant
épuisé toutes les raisons de poursuivre son enquête, il pria les six membres du
jury composé de « chefs de famille respectables et respectueux des lois du
district de Washington » de se retirer afin de délibérer des circonstances
et des modalités de la mort dudit Jesse Woodson James ainsi que des
responsabilités en cause. Le verdict fut rendu avant midi et les Ford
sommairement inculpés de meurtre avec préméditation.
L’édition du jour de la Gazette de St Joseph
était alors déjà épuisée et un peu partout dans le pays de nombreux quotidiens
reproduisaient in extenso son compte-rendu de l’assassinat sur sept
colonnes. Les manchettes racoleuses n’avaient pas encore cours à l’époque, de
sorte que le titre JESSE JAMES, PAR JÉHOVAH ! était tassé dans une seule
colonne, suivi des cinq sous-titres de trois lignes suivants : « Mort
de Jesse James, le Célèbre Hors-la-loi, Tué d’un Coup d’un Seul par Robert Ford
– Dénouement Abrupt d’une Carrière Aventureuse à la Veille d’un Nouveau Crime –
Ford Gagne sa Confiance et l’Abat d’une Balle Dans le Dos – Jesse Habitait St Joseph
Depuis le Huit Novembre Dernier – Entretien avec Mrs James et
Récapitulatif des Dépositions Devant Jurés. »
L’article s’ouvrait ainsi : « Entre
huit et neuf heures hier matin, Jesse James, le hors-la-loi du Missouri dont
les forfaits éclipsent ceux de Fra Diavolo, le brigand calabrais, de Dick
Turpin, le voleur de grand chemin anglais, ou de Schinderhannes, le bandit
allemand, a été abattu d’une seule balle à son domicile du moment, au coin de
la Treizième et de Lafayette Street, par un jeune homme âgé de vingt ans du nom
de Robert Ford.
« Si d’un point de vue moral cet
assassinat est injustifiable, force reste à la loi et les 10000 $ de récompense
offerts par l’État pour le corps du criminel iront sans nul doute à celui qui a
eu le courage de faire usage de son arme contre le célèbre bandit, même si en l’occurrence
celui-ci avait le dos tourné. »
Suivait le récit des événements, tels qu’ils
avaient été rapportés par les Ford. John Leonard écrivait que la nouvelle s’était
« répandue comme une traînée de poudre », mais que peu de gens
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