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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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l’obligation de personnifier Jesse. Il était sujet à des
accès de mélancolie solitaire ou de nostalgie, ainsi qu’à divers syndromes
morbides comme le fait de pleurer ou d’idéaliser ses souvenirs, et il se mit
peu à peu à considérer son frère cadet avec aversion et hostilité, comme s’il n’excluait
pas que, lors d’une future représentation, Bob pût se présenter face à lui avec
un pistolet chargé à balles réelles.
    Aussi Bob résolut-il d’éviter Charley autant
que possible et de se consacrer à restaurer sa réputation. Ironie du sort, ce
fut à New York que Bob entendit pour la première fois la chanson écrite sur son
compte par un métayer du Missouri du nom de Billy Gashade. Bob était dans un
saloon du quartier de Bowery, une bouteille de whisky verte posée sur une
caisse à sa droite, un dé à coudre vide entre les doigts, quand un homme muni d’un
banjo proclama qu’il allait chanter « La ballade de Jesse James ».
    « “Jesse James était un gars qui en avait
tué plus d’un, entonna le trouvère. De Glendale il avait dévalisé le train. Il
donnait aux pauvres et aux riches ne laissait rien, il avait une tête, un cœur,
une main.” »
    Le chanteur déambula dans la salle, passant si
près de Bob que celui-ci dut replier ses jambes croisées, puis entonna le
refrain : « “Oh, Jesse avait une femme pour pleurer sur son sort et
trois enfants – qu’ils ont été braves quand il est mort –, le jour où un sale
petit lâche a tiré sur Mister Howard par-derrière, et a expédié Jesse James six
pieds sous terre.” »
    Un docker donna cinq cents au musicien, qui le
remercia d’un signe de tête, avant de poursuivre :
    « “C’était un sale petit lâche nommé
Robert Ford. Je me demande s’il a des remords – Jesse a rompu le pain avec lui,
Jesse lui a donné un lit et lui, il a tué Jesse.” »
    Le joueur de banjo, qui se prénommait
apparemment Elijah, reprit ensuite le refrain et Bob s’efforça de ne rien
laisser transparaître, ni par son attitude ni par son expression. Il était si
saoul qu’il dodelinait quand il tournait la tête et que l’un de ses bras
pendait le long de son corps, mais son esprit demeurait obstinément en éveil et
il ne put s’empêcher de relever qu’un couplet à propos d’une attaque de banque
à Chicago était erroné, de même qu’un second, selon lequel le meurtre avait eu
lieu un samedi soir, et un troisième, d’après lequel Jesse était né dans le
comté de Shea.
    « Billy Gashade a composé ce morceau dès
que la nouvelle lui est parvenue, conclut le ménestrel. Il aurait déclaré que
pas un seul homme avec la loi de son côté n’aurait pu prendre Jesse vivant. »
    Bob coiffa de son verre la bouteille de whisky
et se leva en l’empoignant par le col. Il renversa sa chaise et tituba un peu
sous l’effet de l’alcool, mais retrouva son équilibre lorsqu’il se mit à
marcher en s’appuyant d’une main contre le mur du saloon.
    « Deux z’enfants, bredouilla-t-il. Lun’i
matin, pas same’i choir. Et dans le comné de Clay. T’as dit Shea. » Il
tendit la bouteille et le dé à coudre au barman et chancela un peu vers la
droite en se retournant vers le chanteur dans l’attitude d’un boxeur. « Tu
veux te battre, qu’on voye qui c’est le lâche ? »
    Elijah le toisa avec répugnance et répliqua, sans
aucune appréhension :
    « Je ne me battrai pas contre toi, gamin.
Tire-toi d’ici.
    — Hein ?
    — Va te coucher ! » enjoignit à
Bob un homme adossé au zinc.
    Il lui décocha une vigoureuse bourrade dans le
dos et Bob trébucha en avant, puis se rétablit quelques pas plus loin.
    « Y en a qui veulent se battre avec moi, hein ?
Qui ce sera, en premier ? »
    Ses jambes se dérobèrent sous lui et il se
retrouva assis au milieu des coquilles de cacahuètes avec un air sidéré. Il se
releva avec difficulté et vacilla sur place sans mot dire, les poings levés
avec précaution le long du corps, les yeux luisants de larmes.
    « Rentre chez toi, bonhomme, lui lança le
barman. Allez ! Barre-toi de chez moi ! »
    Bob s’achemina jusqu’à la porte et se perdit
dans la nuit. Il se réveilla au lever du soleil dans Houston Street, alors qu’un
chien lui léchait la bouche.
    Bien vite, n’importe
quel pianiste de saloon sut cette chanson, toutes les troupes de music-hall l’incorporèrent
à leur répertoire et, vu que le refrain simpliste revenait pas moins de

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