L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
moindre reproche, la moindre pression, le moindre mépris.
Suffisant, désagréable, arrogant et dangereux, il était mauvais comme un
revolver.
Au paroxysme de la colère, il envisageait
parfois de rendre visite à Mrs William Westfall à Plattsburg, au McMillans
à Wilton, dans l’Iowa, aux Wymore dans le comté de Clay, à Mrs Berry
Griffin à Richmond, à Mrs John Sheets à Gallatin, voire à Mrs Joseph
Heywood, à Northfield, dans le Minnesota. Il serait allé les trouver chez eux
et se serait présenté comme Robert Ford, « l’homme qui a tué Jesse James ».
Il imaginait qu’ils lui en seraient reconnaissants. Ils l’inviteraient
obligeamment chez eux et insisteraient pour le couvrir de somptueux cadeaux
afin de le remercier d’avoir tant soit peu atténué leur chagrin. Mais en
réalité, le seul voyage sortant de l’ordinaire qu’il accomplit fut à destination
de Kearney, Missouri, sous couvert de la nuit, alors que même les chiens
dormaient. Il marcha à pas de loup jusqu’à un monument funéraire en marbre haut
d’environ deux mètres soixante-dix sous un bonduc et effleura du bout des
doigts l’inscription :
À la mémoire de
JESSE W. JAMES
Mort le 3 avril 1882
à l’âge de 34 ans, 6 mois et 28 jours
assassiné par un traître et un lâche
dont le nom n’est pas digne
de figurer ici.
Bob s’enfonça dans
le Kansas et les territoires indiens en 1885, où il joua avec des cow-boys dans
les saloons et dormit sur un sol qui conservait le souvenir du soleil jusque
dans la nuit, se dirigeant vers l’ouest sans carte. Un jour, un serpent à
sonnette fit mine de mordre son éperon avant de s’éloigner avec de gracieuses
ondulations. Bob le rattrapa avec discrétion, une machette à la main, et
décapita le reptile, puis plaça le corps dans un sac de jute avec l’intention
de le faire cuire ce soir-là. Des heures plus tard, lorsque Bob ouvrit le sac, le
serpent sans tête se détendit comme un ressort et frappa Bob en plein cou avec
la force d’un coup de poing avant de retomber, inerte, sur le sable, l’esprit
en paix.
7
Mai 1884-juin 1892
Il se peut que
certains soient d’un autre avis, mais tous ceux que je connais qui ont un jour
tué quelqu’un donneraient tout ce qu’ils ont pour échapper à leur réputation.
BOB FORD
dans le Creede Candie, 1892
Charley Ford était
conforme à l’image de l’assassin de Jesse James à laquelle aspiraient ses
contemporains : nerveux, apeuré, pénitent, en proie à un insurmontable
abattement et à tant d’affections, réelles ou imaginaires, qu’il somnolait
pendant des journées entières, enseveli sous des épaisseurs de manteaux, tout
juste capable de guetter les araignées du coin de l’œil. Il avait épousé une Miss
O’Hara de St Louis en mai 1883, mais, dès avril 1884, l’irascibilité et la
déception de Mrs Ford à l’égard de son mari pâlot, phtisique et hanté par
des spectres furent telles qu’ils se séparèrent et que Charley retourna chez
ses parents afin de soigner sa consomption au bon air de la campagne. Bien qu’il
n’eût que vingt-six ans, il était aussi fatigué et fragile qu’un vieillard ;
il pesait à peine quarante-quatre kilos et se plaignait sans cesse du froid, des
clameurs des enfants, des machinations que Martha et Bob ourdissaient contre
lui et des chapardages dont il était victime qui le maintenaient dans la
pauvreté. Il se recroquevillait dans un rocking-chair sous la véranda, face à
la route, emmitouflé tel un paquet d’os dans des lainages et des châles, le
chef égayé d’un ridicule bonnet de laine violet et or. Il avait développé des
infections secondaires de l’appareil digestif et afin de calmer les douleurs
fulgurantes de ses poumons et autres organes, il consommait entre dix et douze
grains de morphine par jour, si bien qu’il pouvait passer d’une espièglerie
stupide mais allègre à un profond sommeil suivi d’une phase d’insomnie et de
dépression durant laquelle il pleurait et psalmodiait tout bas, en plain-chant,
ses remords à Jesse.
Le 6 mai 1884, cependant, Charley se sentit
assez gai pour aller chasser avec Tom Jacobs, l’enfant qui, deux ans auparavant,
avait découvert le cadavre de Robert Woodson Hite ; pourtant, quand des
cailles débusquées s’envolaient des hautes herbes de la propriété des Jacobs dans
un bruissement d’ailes évoquant des pages que l’on fait défiler, Charley se
contentait de les contempler tandis
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