L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
ne
parvint pas à bâtir un dossier suffisamment solide pour incriminer Frank, aussi
le hors-la-loi fut-il envoyé à Gallatin afin d’être jugé pour le meurtre de
John Sheets en 1869 ainsi que pour ceux de William Westfall, le chef de train, et
de Frank McMillan lors de l’attaque du Chicago, Rock Island and Pacific à Winston
en 1881. John Newman Edwards réussit à enrôler sept personnalités politiques
montantes en tant qu’avocats de la défense, dont un ancien vice-gouverneur et
un ex-membre du Congrès qui était commissaire de la Cour suprême du Missouri. Comme
la salle du tribunal était trop petite pour accueillir les foules, les
audiences se déroulèrent au music-hall de Gallatin et le shérif fit payer l’entrée.
Le dossier de l’accusation reposait sur les
aveux de Clarence Hite, Whiskeyhead Ryan et Dick Liddil ; mais Hite mourut
de consomption avant de pouvoir témoigner, Ryan était déjà en prison pour vol
et n’avait aucun intérêt à s’aliéner Frank James et ses alliés ; quant à
Dick Liddil, si ses déclarations furent précises et convaincantes, émanant d’un
voleur de chevaux en prison, d’un débauché et d’un traîne-savates, elles n’eurent
qu’un poids limité.
Frank James, lui, respirait la dignité, l’intelligence,
la rectitude et la retenue. Il exhibait toutes les qualités que les honnêtes
gens de l’époque rêvaient de posséder. Il parlait un allemand et un français
corrects ; il était capable de citer un millier de vers de Shakespeare ;
il ne se dégageait de lui nul charme suspect ; et il s’était battu du bon
côté durant la guerre de Sécession.
Le jury, dont la partialité envers Frank James
s’était fait jour dès sa constitution, vota l’acquittement de l’accusé et un
long tonnerre d’applaudissements résonna dans la salle.
Frank était libre depuis moins d’un an quand
il fut de nouveau inculpé, en Alabama, pour vol à main armée sur la personne d’un
trésorier-payeur à Muscle Shoals. Le verdict fut identique, mais à peine eut-il
été prononcé qu’un autre shérif arrêta Frank pour l’attaque d’un train de la
Missouri Pacific à Otterville en 1876. Toutefois, le principal témoin trépassa
deux jours avant le début du procès et Frank bénéficia d’un non-lieu en février
1885.
De sorte que, en dépit de maintes preuves plus
qu’indirectes l’incriminant dans bon nombre de crimes, Frank ne passa jamais un
seul jour dans un pénitencier.
En revanche, il fut starter lors de courses
organisées à l’occasion de foires locales, où il attirait les foules à chacune
de ses apparitions ; il travailla dans un magasin de chaussures à Nevada, dans
le Missouri, ainsi que pour la Mittenthal Clothing Company, un fabricant de
vêtements de Dallas, Texas, jusqu’à ce que l’ennui prît le dessus ou que, las
de la déférence béate des clients, il préférât démissionner. Il pansa et soigna
un temps les chevaux de course d’un riche propriétaire dans le New Jersey, jusqu’à
ce que les généreux appointements qu’il touchait se missent à ressembler un peu
trop à de la philanthropie. Puis, pour soixante-dix dollars par mois, il
déchira des billets à l’entrée du Standard Theatre de St Louis, refusant
systématiquement toute invitation à entrer pour assister au spectacle burlesque
et coquin qui s’y donnait.
Il fut question de faire de lui le nouveau
sergent d’armes du parlement du Missouri en 1901, poste qui eût à la fois
représenté pour lui un répit et une forme de reconnaissance de sa rédemption, mais,
redoutant que sa présence au sein de l’assemblée ne fût pour eux un handicap
politique, les Démocrates qui avaient recommandé Frank se déjugèrent. Ce ne fut
donc pas sans déception et ressentiment que Frank céda aux instances de
plusieurs troupes de répertoire et accepta de jouer, avec un dépit et une
nervosité considérables, des rôles secondaires dans les pièces De l’autre
côté du désert et La Cicatrice fatale.
Il se sentait quelque peu coupable d’avoir été
épargné. Il avait l’impression d’avoir fait l’objet de cette grâce sans la
mériter, que le pardon dont il avait joui n’avait ni rime ni raison. Il était
un jour retourné avec un reporter du Missouri Herald sur les lieux du
massacre auquel il avait pris part à Centralia, en 1864, et avait parcouru le
cimetière de Pleasant Grove à la recherche de noms qu’il connût. Tandis qu’il
se livrait
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