L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
voix de
soie, à son tempérament généreux, il exaltait son sens de l’orthographe et son
écriture, qu’il tenait pour aussi parfaite que celle du calligraphe Platt
Rogers Spencer (ce qui n’était pas le cas). Quand elle s’acquittait des corvées
domestiques avec ses sœurs, elle se sentait constamment critiquée ; quand
elle dînait à la longue table de la pension en compagnie d’hôtes acariâtres, elle
se sentait puérile, incomprise ; quand elle faisait des courses à Kansas
City, elle se trouvait indiscernable des autres femmes qu’elle croisait et elle
avait hâte de rentrer, de gagner en stature à mesure qu’elle gravissait les
degrés menant à la chambre de Jesse.
Quand Jesse la complimentait, elle répliquait :
« Non, je ne suis pas belle – mais toi, tu as le droit de le dire. »
Et quand il avait embrassé pour la première fois sa cousine passionnément, Zee
lui avait dit : « Si, il y a trois ans, on m’avait prédit que cela
arriverait, j’en aurais ri, puis j’y aurais songé toute la nuit. »
Elle se réveillait avant le lever du soleil
afin de remplir de feuilles d’automne de toutes les couleurs des bols dont elle
décorait le chevet de Jesse, afin d’agrémenter ses robes ordinaires de falbalas
ou de cuisiner pour lui des fournées et des fournées de friandises, dans l’espoir
qu’il en grignoterait peut-être quelques-unes. Pour elle, ces festins
himalayens étaient l’expression de son immense amour pour Jesse et de la famine
qu’eût été la vie sans lui. Elle aspirait à savoir tout ce qu’il savait, à
ressentir tout ce qu’il ressentait, à le toucher, à l’habiter, à lui révéler
chacun des désirs et des secrets qu’elle avait. Elle aspirait à l’observer
tandis qu’il mâchait, tandis qu’il se rasait, tandis qu’il lisait l’Ancien et
le Nouveau Testament, mais aussi tandis qu’il urinait dans son pot de chambre (même
dans ces moments-là, osait-elle à peine s’avouer ; surtout dans ces
moments-là). Elle faisait comme si Jesse était son mari ; elle se
désespérait de ne pas être plus belle, plus raffinée, d’être sans doute la plus
insignifiante créature féminine que son cousin eût jamais rencontrée. Elle
redoutait que Jesse finît un jour par quitter la pension des Mimms sans avoir
perçu l’affection qu’elle avait pour lui ; elle se prenait à souhaiter – avant
de se le reprocher – que Jesse ne se rétablît jamais et continuât à jamais à
avoir besoin d’elle et à réclamer son attention, afin qu’elle pût abandonner
son nom de jeune fille emprunté, renoncer à sa vie falote et embrasser la tâche
exténuante de devenir l’épouse aimante et dévouée de Jesse Woodson James.
Le jour de Thanksgiving, Jesse s’estima
finalement assez remis pour s’aventurer au rez-de-chaussée, soutenu par Zee, et
pour endurer avec un sourire mortifié les toasts et les acclamations des
convives. Il demanda qu’on l’autorisât à dire une bénédiction avant le repas et
cita l’Évangile selon Luc : « Lorsque tu donnes un festin, invite des
pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. Et tu seras heureux, puisqu’ils
n’ont pas de quoi te rétribuer. » Sa convalescence l’avait rendu plus
révérencieux, plus reconnaissant et il annonça son intention de suivre les
traces de son défunt père et de s’inscrire à Georgetown College, dans le
Kentucky, afin d’endosser l’habit de ministre de Dieu. Il entrelaça ses doigts
avec ceux de son infirmière et lui confessa qu’il se sentait si redevable
envers elle qu’il en avait les larmes aux yeux.
« Je ne sais pas comment te remercier.
— J’ai ma petite idée », souffla Zee.
Et, à Noël, il la demandait en mariage.
Leurs fiançailles
durèrent neuf ans. Il retourna vivre à la ferme de sa mère et de son beau-père,
à environ cinq kilomètres au nord-est de Kearney, dans le Missouri, à une
trentaine de kilomètres de Kansas City. Il réintégra l’Église évangélique du
Nouvel Espoir et se fit baptiser par immersion dans le fleuve afin de purger
son âme de la guerre de Sécession, mais il ne reçut d’autre enseignement
religieux que celui qu’il put glaner sous les chapiteaux de prédicateurs
itinérants ou à l’occasion d’assemblées religieuses. Sa mère se moqua de sa vocation
ecclésiastique et comme il ne trouvait pas d’autre emploi, il divisait son
temps entre travaux agricoles et dimanches midi à la table des
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