L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

subtilisés creusaient son oreiller de molles
dépressions ombreuses. Y voisinaient une boussole et un rapporteur dans un
écrin garni de velours bleu ; un étui en métal vert contenant un jeu de
cartes dont un certain Mr J. T. Jackson s’était servi à l’occasion
des soirées poker du jeudi chez Ed Miller et auquel il ne manquait que le trois
de trèfle ; un objet pas plus long qu’un pouce enroulé dans un mouchoir en
lin ; un canif à deux lames dont le manche était habillé d’écorce et qui
était également pourvu d’un poinçon, fauché au beau-frère de Jesse, John ;
une loupe ; de la réglisse cassante impossible à mâcher ; une boîte à
sardines qui tinta lorsque Wood la secoua ; et un sachet en tissu qui
fleurait la lavande.
    « Vous avez un sacré culot tous les deux ! »
s’écria Bob d’une voix puérile.
    Wood le considéra avec une expression plus
consternée que coupable.
    « Qu’est-ce que c’est que ce fatras ?
    — Des rapines, intervint Charley. Pas
vrai, Bob ? »
    Debout devant le tiroir de la table de nuit, il
trifouillait du doigt les pages de livres jaunies et les articles de journaux
maintenus ensemble avec des épingles de chemise. Bob bouscula Wood et regroupa
les articles étalés sur le lit tandis que Charley étudiait une photographie de
la guerre de Sécession, puis la jetait dans le tiroir.
    « Ce n’est pas Jesse.
    — T’en sais rien !
    — Il n’a jamais eu de moustache. Il ne s’est
jamais approché d’un canon.
    — J’ai peine à cerner ce que j’ai sous
les yeux, lâcha Wood.
    — Depuis qu’il est gosse, Bob
collectionne tout ce qu’il trouve sur les frères James. Il a son propre petit
musée dans sa chambre. »
    Bob referma le tiroir de la table de nuit d’un
coup sec et se tourna vers Charley : « La prochaine fois que je te
prends à fourgonner dans mes affaires, tu ferais mieux de prévoir un pétard. »
    Charley eut un sourire narquois qui révéla ses
dents de lapin.
    « Comme tu peux le voir, j’en tremble »,
ironisa-t-il.
    Bob foudroya Wood du regard.
    « Ça vaut aussi pour toi, Wood. Tu me
marches encore sur les pieds et je te colle une balle dans la tronche.
    — Allons, est-ce bien raisonnable de
parler ainsi ? » s’interposa Charley.
    Mais Wood se contenta de tendre la main vers
la poitrine de Bob et de décocher une chiquenaude dédaigneuse dans l’un des boutons
de sa combinaison. Bob s’effondra en arrière sur son lit comme sous l’effet d’un
coup de poing.
    « Rappelle-toi plutôt qui est mon cousin,
riposta Wood. Tu as l’air d’oublier que Jesse fait autant cas de moi que de la
Bible. Jesse est le garant de ma sécurité. Tu peux jouer les terreurs dans les
épiceries si ça te chante, mais souviens-toi bien à qui tu devras en répondre
si jamais tu as le malheur de me froisser. À ta place, je me montrerais un
tantinet plus gracieux que tu ne l’es envers moi. »
    Depuis le bas de l’escalier, Martha cria :
    « Il faut que je gueule pour que vous
rappliquiez ?
    — Et si on se réconciliait tous et qu’on
était un peu aimable, pour une fois ? suggéra Charley. Si on essayait de
passer une soirée agréable comme des êtres civilisés ? »
    Au soir du 19
septembre, sur la côte du New Jersey, alors que les chirurgiens discutaient de
la détérioration de son état et que les correspondants des journaux fumaient
des cigarettes sur la pelouse en bord de mer, James A. Garfield luttait contre
les frissons et les nausées. Un anévrisme qui s’était formé sur une artère
endommagée se rompit apparemment aux environs de dix heures du soir, car le
président, qui dormait, se réveilla et se plaignit d’une douleur atroce au
voisinage du cœur ; à dix heures trente-cinq, il mourait.
    Le 20 à midi, Perry Jacobs fit halte à la
ferme de Harbison pour annoncer la nouvelle qui lui était parvenue par
télégraphe et il prit le café avec Martha et Bob pendant que Wood Hite et Dick
Liddil préparaient leurs bagages en vue d’un voyage dans le Kentucky. Quand
Dick descendit de sa chambre avec son manteau et ses sacs, Martha l’embrassa
sur les lèvres et lui murmura quelque chose à l’oreille. Il sourit.
    « Fichtre ! Voilà qui me ferait
presque changer d’avis. »
    Mais Wood poussa Dick vers la porte et, à l’issue
d’adieux expéditifs, ils se mirent en route. Renfrognés, ils prirent la
direction de l’est, se parlant à peine, dodelinant sur leurs montures.