L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
civilités dans le cornet acoustique noir de son mari étique assis à côté d’elle.
Toutefois, comme sa réserve et son silence se faisaient un peu trop patents, Dick
se pencha par-dessus son rôti et fit :
« C’est vous qui avez cuisiné ce repas, M’dame ? »
Elle secoua la tête.
« Non, j’ai une négresse pour ça. »
George Hite s’inclina vers son épouse avec son
cornet.
« Hein ?
— Dick demandait si c’était moi qui avais
cuisiné ça.
— Et alors, c’était toi ?
— Non. »
Le major Hite prit dans la sienne la blanche
main ourlée de dentelle de Sarah et l’exhiba à toute l’assemblée telle une
touchante carte de vœux.
« Vous avez déjà vu des mimines aussi
appétissantes, les gars ? » Il sourit de la voir rougir de colère.
« Sarah est ma petite douceur dodue. »
Dick baissa les yeux sur sa fourchette et son
couteau.
« Elle savait comment il était quand elle
l’a épousé », lui murmura Wood.
Après le dessert, les Hite et leur invité se
retirèrent sur la vaste véranda où ils prirent place dans les fauteuils que
John Tabor, le majordome, y avait traînés. La conversation, fade et dépourvue
de contenu, se borna pour l’essentiel à ressasser des évidences – les
compagnies ferroviaires gagnent de l’argent sur les trajets aller comme sur les
trajets retour ; ce n’est pas gai d’être malade ; parfois on ne se
rend compte qu’on a trop mangé qu’en se levant de table. À huit heures et demie,
le vieil homme se leva avec effort et bâilla en tremblotant de tout son corps.
« Le matin arrive toujours trop tôt »,
commenta-t-il.
Mais Sarah rétorqua qu’elle n’avait pas
sommeil et s’attarda dans son fauteuil à bascule en osier, à broder des
marguerites sur une manique pendant que les hommes – Wood, Dick et George Hite
Jr, le grotesque gérant de l’épicerie familiale, qui était bossu et boiteux – bavardaient.
Wood persuada Dick de chanter des ballades de l’Armée confédérée et celui-ci s’exécuta,
d’une voix de ténor si tragique et déchirante que Sarah en délaissa
momentanément son ouvrage. Puis le silence s’installa, uniquement troublé par
le grincement des fauteuils, et les frères Hite allèrent se coucher ; mais
en dépit des regards réprobateurs de Wood à l’attention de sa jeune belle-mère,
celle-ci s’entêta à rester dans son fauteuil avec sa broderie, une chandelle
trapue entre ses bottines noires à boutons, faisant cliqueter son dé à coudre
chaque fois qu’elle piquait son aiguille.
Sarah était plantureuse et large comme un four
à bois, ce qui était alors considéré comme voluptueux. Elle avait des yeux bleu
clair qui évoquaient une mosaïque blanc argent et une chevelure noisette, comme
on appelait à l’époque cette couleur, qui encadrait son visage tandis qu’elle
se concentrait sur le disque jaune de la fleur.
« J’ai l’impression que nous sommes les
deux seuls couche-tard, vous et moi », lâcha Dick au bout d’un moment.
Elle minauda, mais ne releva pas la tête.
« Je m’en félicite.
— Ah bon ? s’étonna Dick, jouant les
Clarence. Pourquoi ça ? »
Elle eut un mouvement ambigu des épaules et
sourit à ses chaussures.
« Je pourrais vous écouter chanter et
jaser jusqu’à l’aube. Vous êtes d’un naturel plaisant, vous êtes intéressant à
regarder et… je ne sais pas, vous me rendez tout feu tout flamme.
— C’est mon côté épicurien, j’imagine.
— Voilà, je savais qu’il devait y avoir
un mot pour ça.
— Vous et la famille Hite, vous ne vous
entendez pas très bien, si j’en crois la description que Wood m’a faite de la
situation. »
Elle laissa retomber ses mains et son ouvrage
dans le giron bleu marine de sa robe. La lumière orangée de la bougie fluait et
refluait sur son visage. Elle se mordit la lèvre inférieure.
« On se déteste comme des poisons, si
vous voulez la vérité. La plupart des Hite ne se donneraient pas même la peine
de me cracher dessus si je prenais feu sous leurs yeux. »
Dick ne manquait jamais de relever une invite,
si subtile fut-elle.
« Il paraît que quand une femme prend feu,
on est censé se jeter sur elle et la couvrir de son corps », affirma-t-il
en clignant de son œil louche.
Sarah partit d’un rire si sonore qu’elle dut
se plaquer une main sur la bouche, puis elle le traita de vilain flirteur et lui
confia qu’il l’émoustillait tellement que les joues
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