L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
et s’épanchait avec langueur vers la porte, prêtant
l’oreille au grincement des marches et au bruissement de la robe de sa sœur.
« Il perd tout son jus », lâcha-t-il
à l’adresse de Martha.
Celle-ci écarta Bob, défit son tablier et
tamponna avec précaution l’orifice de sortie du projectile.
« Désires-tu qu’on te déplace ? »
s’informa-t-elle auprès de Wood.
Le moribond ne répondit rien. Il avait les
yeux clos. Un fil de bave qui pendillait de sa bouche jusqu’au sol s’arquait au
moindre courant d’air froid. Martha dégagea le cache-nez bleu et repoussa du
front de Wood quelques mèches perlées de sang.
Elias s’accroupit à côté d’elle et inclina la
tête pour examiner les blessures, les investigua du pouce, puis s’essuya le
doigt sur sa chemise.
« Tu étais un bon gars, Wood, commenta-t-il.
Tu étais bienveillant dans tes propos, tu prenais soin de ton cheval et tu ne
demandais rien à personne. »
Il regarda autour de lui, quelque peu
embarrassé, puis se mit debout avec effort.
« J’espère que la souffrance n’est pas
trop affreuse, Wood, renchérit Martha. Je te ramènerais bien quelque chose à
boire, mais j’ai peur que tu ne t’étrangles. » Elle marqua une pause, puis
reprit : « La petite Ida te regrettera, ainsi que le reste de la
famille. »
Elle alla jusqu’à Dick, suivie d’Elias, et
noua le cache-nez autour de la cuisse du blessé, cependant que Bob s’avançait
si près de Wood que ses orteils effleuraient les doigts glacés de sa victime.
« Au cas où tu n’en aurais pas conscience,
c’est moi qui t’ai tiré dessus, confessa-t-il. Je ne nourrissais aucun
ressentiment contre toi, j’étais simplement effrayé et je craignais pour ma
propre sécurité. » L’un des doigts de la main gauche de Wood remua et Bob
battit en retraite de quelques centimètres avant de se ressaisir. « Tu
seras mort avec bravoure et il n’y a rien dont tu aies à avoir honte. »
D’après les aveux
que devait faire Martha en avril, Wood Hite mourut « une heure après le
lever du soleil » ; les hommes le dépouillèrent de ses vêtements, puis
allongèrent son cadavre sur le lit de Bob et Dick Liddil sur celui de Charley. Dick
sirota une bouteille d’alcool de maïs pendant que Martha lavait Wood et oignait
ses engelures d’alun et d’huile de sassafras, puis Elias soigna la jambe amochée
de Dick avec des remèdes vétérinaires ainsi qu’un nécessaire de couture, et
Dick en fut tellement mortifié dans sa chair qu’il s’en évanouit.
Bob suspendit le manteau en poil de chèvre sur
un cintre dans le placard et fourra le reste des habits en boule dans une boîte.
Il enfila le costume vert chiné qu’il avait acheté à Liberty et se pommada les
cheveux devant le miroir du chiffonnier de Martha. Il prit place à la table du
petit-déjeuner et considéra Charley qui était assis sur le fourneau, enveloppé
dans une couverture rayée ; de la vapeur d’eau s’élevait de son dos et l’une
de ses chevilles était grosse comme un melon. Wilbur se tenait devant la
fenêtre et griffonnait des lettres dans la buée, l’esprit vagabond ; Ida
pleurait sur le canapé ; Martha servit du porridge froid et fit bouillir
du lait en s’essuyant à maintes reprises les yeux avec un torchon. Bob seul
semblait épargné par la mélancolie, lui seul ne semblait pas enclin à broyer du
noir. Il montra à Wilbur la douille de la balle qui avait causé la mort de Wood
Hite et déambula dans la cuisine en humant l’odeur de poudre brûlée qui en
émanait. Il rapporta une bassine remplie à ras bord de neige et obligea Charley
à mettre le pied dedans afin de soulager sa cheville enflée.
Des voisins leur rendirent visite en rentrant
de l’église et l’on envoya Wilbur à l’étage pour fermer la porte de la chambre.
L’épouse du couple évoqua le sermon exaltant du pasteur et la sérénité qui l’envahissait
tous les dimanches, tandis que son mari, John C. Brown, passait d’une pièce à l’autre
en humant l’air et en tapotant son livre de prières contre sa cuisse.
« Ça ne sentirait pas la poudre ?
— Il faut que je ramone le tuyau du
fourneau, expliqua Bob. Il se pourrait que des martinets aient fait leur nid
dedans. Peut-être bien que je ferai ça aujourd’hui.
— Et le repos dominical, Bob ?
— Vous avez votre religion, j’ai la
mienne, riposta Bob. Ce n’est pas la peine de nous enquiquiner avec tous
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