L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
froide et trop noire et
Timberlake, las d’ennui et de solitude, repartit en direction de l’ouest et du
comté de Clay.
Bob était dans le salon quand Jesse survint. Ida
brodait à la lueur d’une chandelle et, assis face à elle dans un fauteuil, il
nettoyait les dents d’un peigne avec une aiguille à coudre en écoutant les
contrepoids de l’horloge aller et venir. Il aperçut du coin de l’œil des
branches qui s’agitaient devant un carreau, puis retrouvaient leur immobilité
et en conçut une telle frayeur qu’il se retourna et croisa le regard d’une
apparition qui se détachait de la vitre. Puis Jesse fit son entrée dans la
cuisine, aussi bruyant et massif qu’un tombereau de bière, et Bob détala au
premier étage.
Dick Liddil sautillait déjà à cloche-pied vers
le placard, grimaçant à chacun de ses mouvements.
« Qu’est-ce qu’il vient fiche ici, Dick ?
À ton avis, il est au courant, pour Wood ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, Bob. Tout
ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas grand-chose qui lui échappe.
— Qu’est-ce que je lui raconte s’il
demande des nouvelles de toi ? »
Dick se laissa glisser dans un coin de la
penderie et réfléchit.
« Dis-lui juste que je suis à Kansas City
avec Mattie. »
Dick se couvrit de jupons et de crinolines
arrachés aux cintres et Bob referma la porte du placard.
Lorsqu’il pénétra timidement dans la cuisine, Jesse
se tenait devant le fourneau, enseveli dans une montagne de vêtements au nombre
desquels figurait une pelisse en castor aux reflets rouges volée, affirmait-il,
à un prince héritier des Habsbourg venu chasser le bison dans le Nebraska. Il
se tourna et, à la vue de Bob, abaissa la tasse de café qu’il avait aux lèvres.
« Tiens, voilà le Kid !
— Quoi de neuf ? » s’enquit Bob.
Jesse ignora la question et ôta avec
précaution son couvre-chef, dont il coiffa une huche à pain sommairement
décorée de glaïeuls. Le pourtour de son crâne s’ornait d’une marque de chapeau
qui départageait son visage rougi d’une bande de peau blanche et striait sa
chevelure brune huilée. Il se débattit pour enlever son imposant manteau et le
suspendit sur le dossier d’une chaise, puis déboutonna son cardigan qui
exhibait une brûlure circulaire au niveau du ventre. Tout le monde se taisait, comme
si chaque geste de Jesse était un miracle d’invention, un merveilleux spectacle.
Martha ne quittait pas Jesse des yeux en cuisinant, Ida se pâmait presque en
apportant les plats sur la table, Charley et Wilbur souriaient servilement dès
que le regard du hors-la-loi errait vers eux.
« Je ne retire jamais mon ceinturon, fit
Jesse.
— Bien vu », acquiesça Wilbur.
Jesse s’en revint vers sa tasse de café et
Charley s’écarta du passage en clochant.
« Tu t’es esquinté la jambe ? »
Charley eut un sourire.
« J’ai glissé du toit et je me suis
écrasé dans une congère comme une tonne de balourdise. À peine le temps de dire :
“Pute borgne !” que pouf ! j’étais dans la neige jusqu’au cou.
— Le toit ? ! Qu’est-ce qui t’a
pris de grimper sur le toit en décembre ? »
Le sourire de Charley s’effaça et il lut le
blâme dans les yeux de Bob.
« Il y avait un cerf-volant – qu’est-ce
que je raconte ? Un chat. Il y avait un chat sur le toit et j’ai voulu le
rattraper. Un chat de gouttière. Il miaulait tant qu’il pouvait. Et j’ai glissé. »
Charley frotta sa paupière droite tombante et
toussota dans son poing.
« J’ai cru que ton pied bot gagnait du
terrain », plaisanta Jesse en lui adressant un clin d’œil.
Wilbur hoqueta de rire comme si c’eût été
tordant, Charley emplit la pièce de ses braiments et Jesse sourit de sa propre
loufoquerie, tandis que Martha déposait sur la table un saladier de jarrets de
porc.
« Dick est passé il y a quelque temps, mais
là, il est à Kansas City chez sa femme », l’informa Bob.
Jesse fit mine de n’avoir rien entendu et s’assit
à table sans gêne, puis entreprit de chatouiller l’estomac et le ventre d’Ida
en lui faisant « guili-guili » comme si elle eût eu deux ans, jusqu’à
ce que l’adolescente n’en pût plus, que ce ne fût plus amusant et que Martha
finît par leur dire d’arrêter un peu tous les deux.
Jesse était de bonne humeur ; il ne s’offusqua
pas de la réprimande de Martha et reporta aussitôt son attention de la fille à
la mère, puis glissa le
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