L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
les
dimanches.
— C’est juste que ma dame et moi, on est
d’ardents croyants et que quand vous êtes persuadé de détenir la réponse, vous
avez envie de la partager avec tout le monde.
— J’aimerais autant que vous vous en
dispensiez », rétorqua Bob.
Puis vint l’après-midi et même une fois les
voisins repartis, nul ne fit allusion à Wood ou à un croque-mort, nul n’écrivit
de lettre de condoléances adressée aux Hite, à Adairville. Ida rêvassa dans la
chambre de sa mère, le pain leva sous des torchons dans des moules en fer-blanc,
Elias circonscrivit son regard maussade aux parois de sa tasse à café et Wilbur
bricola une horloge cassée. Martha demeura assise, mutique, immobile, en face
de Bob, qui s’absorba dans la lecture de L’Almanach du fermier. Charley
entra dans la cuisine à cloche-pied et harponna avec art un cookie dans un pot
en terre.
« Une chose est sûre, déclara-t-il. On ne
peut pas l’emmener à Richmond.
— Pourquoi ? » s’enquit Wilbur.
Charley mordit dans son cookie en se répandant
des miettes sur la poitrine. Puis il passa la langue sur sa moustache
clairsemée et s’expliqua :
« Primo, parce que le shérif enverrait
Bob en prison. Et deuzio, parce que Jesse apprendrait que son cousin Wood s’est
fait descendre sous notre toit et on serait fait. »
Bob serra les dents et les muscles de sa
mâchoire se contractèrent, mais il se tut. La conversation s’éteignit et
Charley rejoignit Ida avec le pot de cookies, toujours à cloche-pied. Martha
fit réchauffer du thé et s’en servit une tasse. Les stalactites de l’avant-toit
fondaient et grêlaient la neige au-dessous d’elles. Le soleil s’encadra dans
les fenêtres à meneaux vers quatre heures, se cacha derrière les bois au
sud-ouest, le froid s’accentua et Elias étoffa sa silhouette de pulls et de
manteaux, puis patienta à côté de la porte tandis que Wilbur se torturait les
pieds pour rentrer dans les bottes en cuir fin de Wood.
Bob désembua un carreau avec le coude de sa
veste et suivit des yeux Elias qui s’acquittait des corvées de la ferme. La
porte du four claqua, Martha en sortit quatre miches de pain et Ida revint de
la cave avec des bocaux de légumes en conserve qu’elle tenait par le couvercle.
Bob entrevit sa cousine dans le miroir de la vitre obscurcie par la tombée de
la nuit. Elle lui lança un regard craintif, puis demanda :
« Maman, est-ce qu’Oncle Bob aime l’okra ?
— Tu ne vois pas qu’il est là ? Pourquoi
tu ne lui poses pas toi-même la question ? »
Bob eut un sourire narquois.
« Elle a peur de moi, Martha. » Il
remarqua Elias et Wilbur qui conféraient près du réservoir d’eau et reprit :
« Vous avez tous peur de moi. »
Il prit une miche de pain, se coupa une
tranche au-dessus d’une assiette en étain, puis trempa son couteau dans de la
mélasse et laissa le sirop couler sur le pain. Il grimpa l’escalier avec son
en-cas et jeta un coup d’œil dans la chambre depuis le couloir. La bougie était
sur la table de chevet et Dick lisait en remuant les lèvres un livre jaune dont
le protagoniste principal était une femme aux appétits débridés. Wood avait la
bouche ouverte, mais quelqu’un lui avait placé une cuillère sur chaque œil. Dick
se lécha un doigt et tourna une page sans lever les yeux vers Bob.
« Il a pas disparu, si c’est ce que tu
espérais.
— À quel chapitre tu en es ?
— Elle vient de rencontrer un jeune beau
et elle est tout excitée.
— Comment va ta guibolle ?
— Elle me tourmente, Bob. Merci de t’en
inquiéter. »
La peau de Wood était cireuse et légèrement
verdâtre à la jonction des veines du cou. Ses doigts étaient entrelacés sur son
estomac. Bob mangea au-dessus de Wood, mais le sirop avait un arrière-goût et
mâcher puis avaler le pain relevait de la pénitence. Il déposa l’assiette en
étain par terre et s’assit sur le lit de Dick pour inspecter la cavité qui s’ouvrait
dans le crâne sévère et arrogant de Wood.
« Je devrais avoir des regrets, mais je n’en
ai pas. Je suis juste content que ce soit Wood qui soit mort plutôt que moi. »
Dick referma le livre sur son index et
dévisagea Bob.
« Toi et moi, il va falloir qu’on s’asseye
autour d’une table et qu’on cause de certains trucs. La situation a changé. »
Elias fit son entrée avec une couverture mitée
marron qui empestait la sueur animale. Ses joues étaient rouges comme
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