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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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liberté du domestique et qu’il y aurait là grand-peine si on y
touchait.
    — J’opine que oui, répondit le baron.
    Là-dessus, il y eut un profond silence, où la consternation
devait le disputer au ressentiment. C’est la Maligou, s’agitant brusquement sur
sa chaise et jetant aux autres un regard entendu, qui partit à l’assaut sur un
ton très abrupt qui fit sourciller le baron.
    — Mais Moussu lou Baron, quand Coulondre, Cabusse ou
Jonas s’en viennent ici céans, puis s’en retournent, nul ne les protège,
eux ? Adonc, moi je dis, si ces petits sauts de puce sont dangereux pour
nous, ils le sont pour eux aussi bien !
    Tous approuvèrent avec de grands hochements de tête sans
trop savoir où cette rhétorique, dont l’étrange logique apportait peu, allait
conduire, mais sentant confusément qu’on pouvait en tirer profit.
    — Lors quoi, Maligou ? s’écria le baron avec
humeur. Que nous vaut ce beau raisonnement ?
    — Qu’il n’y a pas de raison qu’on prenne plus de
précautions pour eux que pour nous !
    — Je n’ai pas les moyens, Maligou, d’envoyer une
escorte à tout ce beau monde quand ils viennent nous visiter ! dit le
baron d’une voix forte qui se voulait mettre un terme à la discussion.
    Mais la logique du baron, que j’entendais bien, n’était pas
celle de la Maligou, à l’évidence.
    — Et pourtant vous les laissez faire !
lança-t-elle victorieuse.
    — Je les laisse faire quoi ?
    — Vous les laissez venir nous visiter sans
escorte !
    — Je ne peux faire autrement, te dis-je, sotte
caillette ! cria le baron.
    — Moi, je m’apense que si on laisse Cabusse, Coulondre
et Jonas venir ici sans escorte, c’est que le danger il est pas si grand, que
sinon on leur interdirait, et que nous donc, on a le droit aussi de leur rendre
visite sans escorte !
    La Maligou avait enfin dévidé toute sa pelote et, comme
souvent les êtres à grossière et obtuse cervelle, mais ayant toute audace, elle
s’imaginait avoir un caractère fort, au reste le répétait à l’envi, et se
croyait assez supérieure aux autres, ce qui, en vérité, ne faisait pas preuve
de grande clairvoyance. Ainsi, de contentement, elle croisa les bras sur son
gros corps flasque, et releva le menton, comme si elle défiait quiconque de
revenir sur cette belle conclusion.
    Assurément, elle se faisait fort d’être le porte-parole de
tout le domestique en cette affaire, et toute gonflée de vanité par ce nouveau
rôlet, elle s’apprêtait à lutter farouchement pour la revendication de tous,
goûtant déjà, non sans une certaine jouissance, les dividendes de son
intrépidité puisque les autres l’avaient, par leur silence, adoubée dans cette
position de chef et de meneur. Pour ma part, il ne me sembla pas que ce champion
par défaut fût le meilleur, loin s’en faut, mais il fut le seul à se présenter,
et je cuide assez que la douce Barbarine, Faujanet maugré son franc-parler, ou
mieux encore Franchou – le lecteur comprend pourquoi – auraient pu
jouer celui-là avec plus d’avantage.
    J’eus peur que le baron, dont je vis les joues s’empourprer
et les yeux lancer des éclairs, ne s’emportât en une colère irrépressible et
violente, laquelle aurait glacé l’assistance et durablement assombrit la
relation entre maîtres et domestique, lors que celle-ci à Mespech était d’une
rare qualité et toute de fiance réciproque à comparer à d’autres.
    Mon maître se trouvait face à son père et je gage fort qu’il
sentit le péril de l’affaire encore plus prestement que je ne le fis moi-même,
car il étendit soudainement le bras, ce qui coupa le baron en son élan et le
força à regarder son fils.
    — Monsieur mon père, dit mon maître, si vous me le
permettez, la Maligou parle d’or et je voudrais lui poser une question.
    Le baron eut une réaction de surprise, laquelle ne dura
guère, car il se rencoigna quasi incontinent au fond de sa chaise, levant la
main en signe d’assentiment, et bien heureux je pense que l’opportunité lui
soit donnée de calmer son ire et de réfléchir à la manière d’apaiser les
choses. De tout ce temps, Sauveterre avait gardé un visage froid,
imperscrutable, clos et coi, le dos bien droit, les avant-bras posés sur la
table dans une attitude de parfaite immobilité ; François suivait les
débats d’un air sombre et pensif mais sans montrer aucunement l’intention d’y
participer, et Samson montrait la vive

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