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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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son fils Pierre sont d’une étoffe différente de celle d’aucuns maîtres
et grands seigneurs que j’approchai plus tard en la cour du roi de France.
    Car dès le soir même, le baron me fit mander en la librairie
de Mespech où, encore et encore, il me bailla fortes brassées dans une
confraternité qui ne laissa pas de m’étonner. Puis, tirant à lui un sac qui se
trouvait sur sa table d’écriture, il me compta une somme si exorbitante que je
me sens presque vergogné de la révéler ici, d’autant que fort peu nombreux sont
ceux qui furent en la confidence – du reste le baron me recommanda la
discrétion – et je suis bien convaincu que Sauveterre n’en sut jamais rien
et resta étranger à cette étonnante libéralité qu’il eût certainement
réprouvée.
    — Tiens, mon bon Miroul, dit-il avec gravité,
compte-toi ici cinq écus, qui ne sont rien en comparaison de ta salutaire
adresse et fortitude.
    Oncques de ma vie n’avais entrevu somme aussi considérable,
et si je la relativise à présent, car je ne suis plus le pauvre paysan qui de
la pécune n’en voit pas même la queue, et parce que j’ai appris depuis à
mesurer les richesses, je restai en la circonstance, et devant une telle
largesse, muet et stupide comme demeuré de village.
    — Prends donc, Miroul ! s’écria le baron qui, me
voyant tout soudain changé en statue de sel, rit à bec fendre et de ma
stupéfaction et – je le crains – de ma nigauderie.
    Comme bien on pense, je ne comptai rien, me contentant de
ramasser les pièces et de les glisser dans mon haut-de-chausses, presque
honteux de tant de pécunes gagnées en si peu de temps.
    La discrétion que le baron me recommanda en cette affaire ne
venait pas de la crainte d’une quelconque réaction de Sauveterre, qu’il eût pu,
à n’en pas douter, circonvenir sans trop de difficulté. Non, dans l’esprit du
baron, et il me le fit comprendre à demi-mot, il s’agissait avant tout d’éviter
que le reste du domestique ne fût au courant, excitant par là envies et
jalouseries qui eussent pu me porter tort. Il montrait là encore subtile
connaissance de l’humaine condition qui rarement se contente de ce qu’elle a,
lorgne sans cesse dans l’assiette du voisin, méconnaît les qualités d’autrui et
magnifie les siennes, et juge la reconnaissance du mérite d’un autre comme une
injustice faite à soi.
    Je fus fort embarrassé d’une telle somme, ne sachant où la
serrer pour qu’elle sommeille en sécurité. Le fait est que, d’une telle
quantité de pécunes, point n’avais besoin, si bien que je la glissai sous mon
matelas comme un voleur, vite et à la dérobée pour que nul ne m’aperçoive, y
revenant sans cesse afin que de vérifier qu’elle s’y trouvait toujours. De ce
jour et de cette courte expérience en la matière, j’en conclus que l’argent est
un souci et que, pour peu que vous ayez la bonne fortune de manger à votre faim
et d’avoir le gîte où reposer votre terrestre enveloppe pendant la nuit, il
n’est nullement besoin d’en posséder.
    De cet avis assez sommaire, qui n’était dû qu’à ma jeunesse,
j’ai changé depuis, car je ne pourrais nier maintenant, en mes années grises,
que la pécune assure une sécurité, que la vieillesse estime, et grandement
permet d’améliorer l’ordinaire. Ce n’est pas avoir goût de l’inutile et du
faste que de souhaiter meilleur rôt que la soupe aux choux, meilleur confort en
mettant vitres aux fenêtres, ou bûches en abondance pour de hautes et belles
flambées en la cheminée. De tout cela, je dispose à présent, et j’avoue, sans
être grippe-sou ni chiche-face, que j’ai découvert avec le temps l’intérêt de
la pécune.
    Tout est dans l’usance qu’on en fait ; tel qui empile
un tas d’or et oncques ne le dépense, tel qui jette incontinent aux quatre
coins le peu qu’il obtient et se retrouve sans cesse dans le besoin, tel qui
voue sa vie à en amasser toujours plus afin que de jouir et se ventrouiller
sans répit dans le luxe, ils sont légion ceux qui tombent sous la tyrannie de
l’argent – lequel les consume comme la chandelle – et ne savent s’en
faire un simple et solide allié.
    Quoi qu’il en soit de ce que chacun en pense, ces cinq écus
me furent plus une peine qu’une joie, et ce que j’en fis à la vérité, je vous
le conterai tantôt, quand le moment sera venu.
    De ce dernier entretien avec le baron, j’en ressortis fort
troublé,

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