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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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chemin qui
conduisait à Mespech, et d’où ils auraient pu échapper à une attaque, pour peu
que celle-ci ne tombât pas trop à l’improviste.
    Pour nous en retourner au domaine, nous prîmes par la route
des Ayzies, puis obliquant vers Mespech, nous atteignîmes le Breuil pour notre
seconde visite à Cabusse et Jonas, lesquels habitaient non loin l’un de l’autre
et à moins de trois lieues du château. Cabusse se trouvait sur le seuil de son
logis et fendait des bûches pour les mettre à dimension de sa cheminée. Il nous
salua avec dignité et un peu d’emphase, comme à sa manière, et invita la Cathau
à venir le rejoindre pour déboucher une bouteille, car visite du château était
rare, Cabusse lui-même y montant souvent pour ses leçons d’escrime, ce qui
donnait de l’inutile qu’on se rendît chez lui.
    La Cathau, ancienne femme de chambre de la baronne Isabelle,
était grosse et bien fatiguée de son fardeau qu’elle s’en déplaçait lentement
et sans grand entrain, n’attendant plus que le terme de son pitchoune.
    — Il se peut, dit Cabusse après que d’avoir écouté en
silence la raison de notre visite, que quelques gueux égarés errent dans les
bois, lesquels, sans doute, sont à éviter, mais le pays est à bien des égards
beaucoup plus sûr qu’auparavant, et à tout prendre, meilleurs sont les temps à
présent que quand Cathau et moi nous nous sommes installés ici, si bien que je
ne vois guère ce qui me pousserait à revenir au château. Mais vous remercierez
prou le baron de cette attention qui me touche et m’honore et lui transmettrez
mon salut fraternel.
    On trinqua, ne causant plus de l’affaire qui ne sembla pas
préoccuper le maître d’armes Cabusse plus que l’instant de sa réponse.
    À la carrière, Jonas, à l’aide d’un pic de petite dimension,
démaigrissait la queue d’un moellon en faisant converger ses faces de joints.
Il y allait par petites touches bien dosées, appliquées avec justesse vers la
queue en dépouille qui prenait forme à chaque impact. Jusqu’à présent, je ne
l’avais visité que dans des travaux herculéens où les puissants muscles
s’exerçaient tout à plein, et je fus dès l’abord étonné de le voir en ce
travail de précision, tel un sculpteur, passant à maintes reprises la main sur
l’angle convergent des faces pour y juger de son arête. Il s’interrompit à
notre approche et nous salua civilement et sobrement.
    — Votre respect, Moussu Pierre et Samson. Et bien le
bonjour à toi, Miroul.
    Pour la première fois aussi je fis connaissance de la Sarrasine
dont l’étrange vie est contée dans les Mémoires de mon maître et qui m’apparut
telle une gentille effrontée, sachant barque mener et qui, après bien des
errances, avait choisi le Jonas en sa carrière pour la sécurité que celui-ci
devait offrir à l’existence.
    Il y fallut lever derechef la chopine pour ce que Jonas
n’aurait pas compris qu’on s’y refusât, quand bien même nous serions arrivés
chez lui fin saouls comme au sortir de la noce. Au demeurant, les us paysans
étant céans à respecter, mon maître tarda prou avant de lâcher le but de la
démarche, tel un jeu où le visiteur se pique à faire croire qu’il est passé là
par hasard, ou sans autre intention que la politesse de se saluer, ce qui est
une subtile façon d’atténuer la brutalité des demandes qui sont parfois l’objet
des entrevues.
    Fort heureusement en ce prédicament, la Sarrasine compensait
les silences de Jonas par une langue bien déliée, alerte et vive, ce qui là
encore, à la suite de Coulondre et Jacotte, me donna le tableau d’un couple
contrasté et, au premier jugement, peu assorti. Mais cette Sarrasine, qui
n’était point désagréable à considérer, tout le rebours, étant fort provocante
en toutes ses attitudes et expressions, permit par ses infinies clabauderies au
temps de passer plus vite, jusqu’au moment où mon maître narra brièvement
l’embuscade de la veille dans les bois de Marcuays et fit à Jonas la
proposition que l’on sait.
    — N’est point utile que je quitte la carrière pour si
peu, répondit Jonas en secouant la tête.
    Et il avait tout dit, ayant le parler bref, exprimant là
toute sa pensée, et il vida son verre cul sec tel un géant des livres de
Rabelais.
    Sur le chemin du retour, ayant par trois fois essuyé le même
et identique refus, je cuide que mon maître savourait la réussite de sa

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