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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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botte, prêts à repartir, il posa
sur moi son regard azuréen et me sourit.
    — Miroul, l’artisan laisse-t-il ses meilleurs outils
aux mains de ses clients ?
    — Non, Moussu lou Baron, répondis-je sans comprendre ce
que cette étrange question signifiait.
    — Adonc, ton cotel ?
    Lors, je descendis derechef de ma monture et m’approchant de
mon tristeux égorgé dont les traits fixes et tendus semblaient un masque de
comédie, je saisis le manche et, non sans répugnance, retirai la lame de la
gorge, ce qui eut pour immédiat effet de gonfler le flux de sang qui
s’échappait de l’horrible plaie. Mais ne pouvant mie remettre à ma ceinture un
tel couteau gouttant du sang le plus affreux, je cherchai comment le nettoyer
et n’ayant point sur moi chiffon ou dentelle à gâcher, je restai un peu gauche,
debout près du cadavre.
    — L’herbe et les feuilles des arbres, Miroul ! me
lança le baron qui devina ma peine.
    Et ainsi je fis, passant et repassant la lame dans les
hautes herbes, d’un côté et de l’autre, puis des larges et tendres feuilles
d’arbustes je m’en fis comme autant de chiffons que j’abandonnai ensuite sur le
sol. Ce n’est qu’après cette action de purification accomplie que je me remis
en selle, le cotel bien en place, et que nous repartîmes en direction du
castel.
    — Il faudra que tu reviennes dès demain ici avec nos
gens afin que de donner à ces malheureux une sépulture chrétienne, car il ne
serait pas juste de les laisser se faire dévorer par les loups tels des animaux
sans âme. Encore que la curée commencera dès cette nuit, ne sais ce qu’on en
retrouvera…
    Telle fut bien la seule parole prononcée par le baron en
notre retour au domaine, et nulle embûche ne vint se mettre au travers de la
route, ce qui me soulagea grandement, car l’émotion de cette embuscade fut
forte, qui ne se révéla qu’ensuite, comme souvent, et me laissa sur mon cheval
mol et languissant tout le reste du chemin.
    De cette position de faiblesse où je me trouvais en ce
présent, les membres quelque peu avachis, tassé sur ma selle et la cervelle
tant vide, je m’avisai que ce gueux, qui gisait en arrière la gorge tranchée
par mon cotel, était le troisième trépassé par mon seul et unique fait, après
les deux du faubourg de la Lendrevie où le boucher Forcalquier fut dépêché et
emporté par la man negra [15] du Diable. J’en récoltai un
poignant chagrin, n’ayant jamais souhaité la mort d’autrui, et toujours bien
marri de la donner quand j’en fus obligé par les circonstances.
    Si fait, pourtant, que j’en fais le compte, et que je
pourrais dire très exactement combien sont-ils ceux que j’ai ainsi proprement
occis depuis les deux de la Lendrevie jusqu’au jour où j’écris ces lignes. Il
se trouve dans ce morbide décompte une attention qui ne se peut expliquer et
dont je suis fort travaillé en mes vieux jours, car je la trouve suspecte
assez, et tant peu chrétienne, qu’il m’en soulage un peu de l’avouer en ces
Mémoires. Il m’est venu à l’esprit que ces gueux figuraient ceux qui jadis
massacrèrent ma pauvre famille et que je n’avais point tant de déplaisir à me
revancher de la sorte de cette lointaine vilénie qu’on me fit. En cette
troublante et incertaine pensée, j’assure Dieu, et vous, lecteur, que oncques
n’ai pris du contentement à tuer mon prochain et que, toujours, j’ai laissé vif
l’assaillant quand la noise le permettait.

 
Chapitre VIII
    On sait que l’émotion et l’exaltation d’un périlleux moment
portent à des paroles qui vont au-delà de l’usage et du sensé, outrepassent la
pensée ordinaire et contreviennent passagèrement aux barrières de la condition
et de l’état de naissance. C’est de cette manière que j’avais entendu les
fraternités du baron quand il me serra dans ses bras et jura – ou peu s’en
faut – de n’être pas ingrat envers moi qui venais de lui sauver la vie. Et
je n’attendais que néant d’une action d’éclat où la fortune y fut pour beaucoup
et qui, somme toute, pouvait se considérer comme la parfaite réussite de mon
devoir ou de ma charge, et rien de plus. Dès que cette émotion serait retombée,
et le fait d’être vif, pour le baron, derechef une chose naturelle et banale,
la gratitude qu’il me devait s’estomperait de même et se diluerait tantôt dans
le monotone de l’existence. Ainsi pensais-je et grandement me trompais, tant le
baron et

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