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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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non pas seulement par la pécune, mais aussi par l’attitude de celui-ci
à mon égard. Il me sembla qu’après cette équipée en Marcuays, ses rudes
émotions, et la sincère gratitude que le baron me montra, je touchais à une
relation autre que je mis bien de la patience à comprendre. Je ne voudrais pas
choquer le lecteur, et du tout je n’oublie de quelle basse extraction je suis,
ni que mon ascension en la société s’arrêta avant même que d’atteindre le
premier étage. Mais le baron, à compter de ce jour, remplaça dans mon cœur le
père que j’avais perdu jadis, et par une sorcellerie de l’âme, me le fit
considérer comme tel, maugré nos dissemblances de condition et de savoir.
    Je souhaiterais qu’on entende bien ce que je dis et que de
cette confession aucune fable ne sorte, et ne se répande à la médisance parmi
les lecteurs. En aucune manière n’ai-je oublié mon mien père, disparu en cette
cruelle meurtrerie que j’ai narrée en tête de ces Mémoires. Sa remembrance
reste à jamais présente, oncques ne s’effacera, et Dieu me placera sans
doutance aucune à son côté quand le moment sera venu de vous donner mon congé.
Que le lecteur considère plutôt que d’un orphelin la peine est dure et qu’il
n’y a aucune vergogne à se donner un autre héros quand le premier s’en vient à
disparaître. C’est ainsi qu’il faut le prendre, et je n’y vois point malice,
ayant eu pour ce père second l’admiration de l’ombre, et sans revendiquer quoi
que ce soit qui ne sortît de ma condition de valet.
    Du reste, si le baron me porta une gentille affection, ce
qui me fit honneur, ai-je nécessité de préciser que lui-même jamais ne me
considéra comme son fils, cette nouvelleté dans la relation étant de mon unique
fait, et cette filiale piété, telle l’eau du torrent, coula selon la seule
pente de mon attachement, sans oncques remonter vers sa source.
     
    Ce soir-là, lorsque tous assemblés autour de la grande table
de la salle commune pour la repue de la Maligou, le baron en vint à narrer
notre équipée en Marcuays, il y alla dans les moindres détails, et sans rien
celer de mon bel exploit, ce qui laissa une forte impression sur l’assistance.
De ce jour, je fus considéré différemment, non plus comme un simple paysan,
certes habile à escalader les murailles ou amadouer les dogues menaçants, mais
aussi comme une recrue utile à la défense ou la protection du domaine. J’y
gagnai prou en l’occasion, et beaucoup plus, je dois le dire, que les cinq écus
du baron, car il s’agissait là de respect, ce dont tout homme a besoin pour
tailler un droit chemin en ce monde.
    — Et qui donc jugeait qu’il n’y avait nul danger à se
rendre seul à Marcuays ? dit Sauveterre avec irrision et sur un ton où
perçait un doux triomphe, alors que tous les regards étaient encore portés sur
moi.
    — J’ai, de facto [16] , une dette envers vous, mon
cher Jean, ce n’est pas la seule, ni sans doute la dernière, et cela je ne
l’ignore pas, répondit le baron avec une humilité dont on ne l’aurait cru
capable.
    Puis il redressa la tête, parcourut de son bleu regard
l’assemblée, dont il était de nouveau le centre, et sa voix s’éleva, sonore,
tranquille et assurée comme à l’ordinaire.
    — De cette heureuse issue, il nous faut tirer leçon.
Dès maintenant, la prudence est requise, comme par le passé, car je constate
que nous en prenons à nos aises, imaginant trop vite que l’on peut aller et
venir en le pays sans encontrer malfortune. Il faut derechef s’armer toujours,
même pour courte sortie, et éviter de se trouver seul à l’aventure.
    Faujanet, assis à l’autre bout de la table, entre Petremol
et Escorgol, se racla la gorge à plusieurs reprises comme pour attirer
l’attention.
    — Moussu lou Baron, peux-je parler ?
    — Mais bien entendu, Faujanet ! Qu’as-tu à nous
dire ?
    — Même pour aller au moulin de Gorenne rendre visite à
Coulondre, ou au Breuil pour Cabusse et Jonas, faudra-t-il s’y mettre à
plusieurs et s’armer ?
    Il y eut un murmure dans l’assistance, car chacun comprit, à
la claire question de Faujanet, que ces nouvelles instructions allaient
singulièrement limiter les va-et-vient, or les visites hors des murs de Mespech
où, loin des maîtres, on clabaude à l’infini sans travailler du tout, ou si
peu, et tout en vidant un litron de la bonne piquette du pays, figuraient bien
l’unique vraie

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