L'avers et le revers
songé.
— Mais, Faujanet, dit le baron d’une voix fort basse,
es-tu bien certain que ceci marchera ?
— Certain, Moussu lou Baron !
— L’as-tu vu faire déjà ?
— Oui-da ! Je l’ai vu, tel que je vous vois, ou
tout comme sur certains moulins en la région de Normandie et du Bordelais. Là,
on met deux pertuis et, grâce au courant de la rivière, il n’y a pas besoin de
barriques, le sas se vide tout seul en ouvrant le pertuis côté aval !
— Mais dis-moi, insista le baron, comment ouvrir ou
fermer les portes avec la pression de l’eau ?
— Ce ne sont point des portes comme celles de votre
logis, Moussu lou Baron. Elles sont à relevage, comme la herse du château, et
s’actionnent verticalement, ce qui élimine le problème que vous dites !
— Et à l’autre extrémité de la douve, tu comptes faire
de même ?
— Non pas ! Là, un simple barrage suffira !
Vous y gagnerez prou à faire comme je dis, pas de tranchée à creuser et point
d’eau gâchée !
Le baron hocha la tête à plusieurs reprises comme s’il se
débarrassait des derniers soupçons d’incrédulité qui s’étaient logés en sa
cervelle.
— Excuse ma rudesse, Faujanet. Mais ne tardas-tu pas à
donner ton idée ?
À cela, point ne répondit Faujanet, qui semblait savourer
son triomphe, et je m’apensai que l’atermoiement qu’il prit à exprimer son
procédé tenait sans doute pour ce qu’il avait eu nécessité à se revancher du
sort fait à la Maligou, laissant ainsi le baron aller à la fureur, tout en
sachant qu’il briserait ce jeu périlleux avant que les choses n’allassent trop
loin.
Fort de sa victoire, Faujanet se mit au labeur dès
l’instant, et aidé en cela par Escorgol et Petremol, prit les mesures de la
douve, largeur et profondeur, puis s’enferma en son atelier pour préparer le
pertuis et les deux barrages. On ne le vit plus de dix jours, hormis quand il
demandait assistance pour retourner ou mouvoir des panneaux encombrants que sa
claudication ne lui permettait mie. Il fit du bel ouvrage, qui fut admiré par
tous bien avant d’être enchâssé dans la douve, car on passait en l’atelier,
sous l’un ou l’autre prétexte, pour admirer brièvement la construction du
pertuis, mais sans questions poser, le Faujanet étant vite escagacé par
celles-ci.
Mettre les barrages et le pertuis en place exigea force et
persévérance, le Jonas fut précieux en l’aventure, mais il en fallut du nombre,
et j’en fus, à tremper dans l’eau froide et patauger dans la boue, une journée
pleine, qui me fit tomber sur mon lit le soir, les membres rompus et la
cervelle bien vide.
Le procédé inventé par Faujanet fonctionna au mieux, et sans
effort aucun car, par un ingénieux système de vases communicants, les barriques
se remplissaient d’elles-mêmes et seule l’action de les pivoter afin que de
déverser leur contenu dans l’étang exigeait de s’y mettre à plusieurs, Jonas
cependant effectuant ce travail sans l’aide de quiconque. Relever la porte du
pertuis était un jeu qui amusait prou tout Mespech, et les garces, massées sur
la berge, riaient et applaudissaient chaque fois que l’eau s’engouffrait par la
vanne ainsi ouverte et remplissait le sas. Une journée y suffit à vider
complètement la douve, et les deux barrages retenaient et contenaient dès lors
une hauteur d’eau, côté étang, qui inquiéta le baron.
— Faujanet, lui demanda-t-il après l’avoir attiré à
l’écart, ne crains-tu pas que l’un ou l’autre barrage ne cède sous la pression
de l’eau ?
— Si fait, Moussu lou Baron, que c’est là un bien
périlleux moment qui m’a prou tourmenté le temps de la construction. Il leur
faut être solides assez, à ces deux barrages, pour non point se disloquer et
ruiner notre labeur ! Voilà pourquoi vous remarquerez que le vantail qui
retient l’eau d’un côté n’est pas un simple panneau, plan et droit, mais est en
fait constitué de deux parties assemblées verticalement au milieu du vantail,
ce qui m’a permis de donner à chaque barrage une forme busquée vers l’étang.
Cet angle pointé vers l’étang permet de briser la force de l’eau en l’orientant
vers les côtés et la berge.
— Mais, Faujanet, je galope de merveille en merveille,
est-ce toi qui inventas cette astuce ?
— Certes non, Moussu lou Baron, je l’ai vu faire ainsi
sur certains cours d’eau de notre pays, aux écluses, où l’angle est
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