L'avers et le revers
bonne marche
d’une troupe, surtout petite. Il choisit Jonas – et de plus rassurant il
ne se pouvait – dont la haute stature, la force et le calme étaient de bon
aloi en une équipée dont nous méconnaissions les traverses et les dangers.
— Jonas, ajouta le baron, ne sait tirer au pistolet,
mais il a un arc anglais dont il se sert avec grande adresse, capable comme je
l’ai vu de percer en une seule flèche un corbeau juché sur la plus haute cime
d’un arbre. Il faudra prendre un cheval supplémentaire et décider notre carrier
à vous suivre. Dites-lui bien qu’il s’agit d’un commandement que je donne, et
que j’exige que la Sarrasine, pour sa sécurité, s’en aille vivre chez Cabusse
en attendant votre retour.
Quand tout fut prêt pour le département, le baron bailla à
ses deux fils une forte brassée, leur souhaita bonne fortune, et les
avertissant de s’attendre au pire car il ne songeait point, pour sa part, qu’il
pût en être autrement que ce qu’il avait dit. Sur ce, mon maître et Samson
éperonnèrent leur monture, tandis que je suivais à distance, tenant mes rênes
de la dextre et, de la sénestre, le licol du cheval supplémentaire destiné à
Jonas.
Promptement parcouru fut le chemin menant à la carrière et
Jonas qui, assis à l’entrée de la grotte, changeait le manche d’une lourde
cognée, la Sarrasine dévidant et cousant à ses côtés, se trouva fort esbaudi de
notre visite et, de son but surtout, quand il l’apprit par la bouche de mon
maître. Mais, j’eus déjà à vous le signaler, lecteur, Jonas était tout de
fidélité et de servitude, et il n’hésita pas un instant à nous suivre, le
commandement du baron n’étant que simple confirmation de la volonté de
celui-ci, ce que Jonas ne songeait pas à mettre en doute, ayant toute fiance en
le fils préféré de Jean de Siorac. Empoignant son arc et ses flèches, Jonas fit
donc de courts adieux à la Sarrasine, laquelle promit de se rendre de ce pas
chez Cabusse et la Cathau pour se mettre hors de tout péril.
Il en est un, je gage, qui ne trouva pas l’affaire bien
plaisante, ce fut le cheval sur lequel Jonas se jucha, et dont j’eus
l’impression que le dos ployait dès lors vers le sol, ce qui ne se pouvait en
vérité, mais de charge entre la croupe et le garrot il ne devait en avoir connu
de plus lourde, et de plus éreintante. Retournant en direction de Mespech, nous
prîmes au nord par le chemin des forêts, lequel était l’unique sentier pour se
rendre en la vallée des Beunes. Mon maître et Samson prirent la tête du petit
cortège, me laissant avec Jonas fermer la marche, et j’observai avec horreur
l’un et l’autre considérer attentivement les broussailles sur les côtés, à
droite et à sénestre, à la recherche d’une macabre découverte que je ne pouvais
mie envisager. Et pourtant, aussi scrutai-je ainsi les alentours, espérant, au
rebours de toute évidence, en voir surgir une Margot saine et alerte, nous
faisant grand signe de la main, et nous confiant en riant à gorge déployée
qu’elle s’était égarée, perdue, et bien heureuse de nous trouver céans enfin.
Hélas, ce ne sont là que chimères qui errent en la tête du malheureux, et qui
le tiennent en fol espoir, lequel ne se peut briser qu’avec plus de force quand
la vérité se dévoile.
Peut-être avions-nous parcouru une lieue déjà quand mon
maître tira sur les brides de sa monture, l’arrêta et, ce que voyant, Samson
fit de même.
— Renifles-tu, mon bon Samson, cette pestilentielle
effluve ?
— Oui, Pierre, elle me chatouille et indispose mes
narines, répondit celui-ci.
— Pour sûr, s’écria Jonas, cette odeur me pue, à peu
que je ne raque ! C’est là odeur de charogne, et pas petite !
Je pardonne à Jonas cette terrible parole, qui fut tel un
coup de marteau sur la tête d’un noyé, car il en savait néant de mon amour pour
Margot, et de ma peine, et ne pouvait deviner l’état de désespérance en lequel
il m’avait tout soudain jeté en prononçant l’horrible mot. Mon maître me lança
un regard hésitant, inquiet sans doute que je ne tinsse le choc, mais je le
supportai, sans trop savoir comment, et quand il s’écarta du chemin,
contournant les broussailles et les arbres, je le suivis comme les autres,
jusqu’à l’endroit d’où l’odeur semblait s’exhaler de la terre elle-même.
Onques n’ai entrevu de toute mon existence une charogne avec
autant de
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