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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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lui-même
la jeune garce en sa ferme, l’ayant choisie en compagnie de Sauveterre pour son
entrain au labeur, sa robuste santé, et sa franche droiture – et peut-être
bien, pour le baron mais non pas pour Sauveterre, pour le simple plaisir des
yeux. Le père aussi, de voir le baron dont il espérait tout, et comme s’il se
trouvait devant le Tout-Puissant lui-même, dans son émotion se jeta à ses
genoux pour l’implorer et le supplier de lui redonner sa fille, et ceci dans
une parladure si fruste et embrouillée que le baron, n’y comprenant goutte,
releva le pauvre homme et s’enquit auprès de son fils de la raison de ces
débordements.
    Quand le baron eut compris l’affaire, il demanda au père de
Margot de s’asseoir – lequel, épouvanté d’un si grand honneur, obstinément
refusa – puis de lui narrer dans les détails ce qu’il savait de la
disparition de sa fille, ce que le brave paysan fit incontinent en un débit
tant rapide que le baron à plusieurs reprises le stoppa, lui faisant répéter derechef
pour s’assurer de bien comprendre. J’en fus étonné car, pour ma part, je
compris au premier jet, maugré l’émotion du bonhomme, et la réflexion que je me
fis là-dessus est que les nobles ont bien du mal à entendre le parler bref et
direct de nos campagnes, et qu’ils sont un peu perdus dès lors que l’on cause
sans contrefaire nos accents et intonations, enlevant l’enrobage des phrases
auquel ces messieurs sont accoutumés.
    Quand il en eut terminé de son court récit, le père de
Margot laissa ses yeux fixés sur la personne du baron, comme s’il s’attendait à
ce que celui-ci, ayant réfléchi au problème, ouvrît une porte dérobée de la
librairie, et en fît sortir sa fille, mettant ainsi un terme à son épreuve, tel
le deus ex machina du théâtre.
    Sur cette entrefaite, Sauveterre entra en la salle, salua
fort civilement le père de Margot dès qu’il le reconnut, et s’en alla s’asseoir
assez roidement après que Pierre lui eut, en deux mots, expliqué la présence du
pauvre homme en la librairie de Mespech. Il y eut ensuite un assez long silence
où chacun, je cuide, devait opiner sur ce qu’il avait appris, tandis que le
baron semblait balancer entre plusieurs options, l’air grave et soucieux,
passant moult fois la main sur le menton en une attitude tant embarrassée
qu’inquiète.
    À la parfin, il assura le père de Margot que Mespech
s’engageait à chercher le fin mot de l’affaire, et il le congédia tout de gob,
se pouvant que la présence du bonhomme le gênait pour dire avec assez de clarté
ce qu’il pensait de cela. Notre homme tristeusement se recula jusqu’à la porte
comme un abandonné, les yeux mouillés de désespoir, et disparut après un bref
salut à la ronde, et je m’apensai qu’il n’aurait pas grand-chose à raconter à
son épousée sur l’issue de sa démarche, laquelle le laissait tout à plein
désemparé et sans réponse.
    Dès qu’il fut hors de la pièce, il y eut un échange de
regards entre le baron, Sauveterre et mon maître, qui fut rompu par
Sauveterre :
    — Jean, quel est votre sentiment sur cette
malaventure ?
    Le baron eut un sinistre sourire en direction de son ami,
pivota autour d’un fauteuil et, se penchant en avant, crocheta ses deux mains
sur le dossier de velours.
    — Je dis que c’est folie d’avoir laissé Margot se
rendre seule au marché de Taniès !
    — Selon son père, n’en avait-elle pas l’habitude ?
    — La belle raison ! s’écria le baron. Si tel
prédicament est jugé hasardeux, doit-on chaque semaine y fourrer le bec
derechef, sous prétexte que nul navrement ne s’est encore produit ?
    — Certes, reprit Sauveterre non sans rudesse, mais nos
paysans vivent entourés de périls et rarement les mesurent tels qu’ils sont en
vérité ! Lors donc, vous opinez comme je le crains ?
    Le baron se redressa, eut un mouvement de tête en signe
d’assentiment, et resta coi.
    — Comment jugez-vous l’affaire, messieurs ?
demanda mon maître, lequel se faisait là – peut-être à dessein – mon
porte-parole.
    — Et que voulez-vous qu’il arrivât, mon Pierre !
lança le baron avec humeur. Quand une jolie garce, telle la Margot, s’en va
seule au marché, comme à la promenade, à sauts et à gambades à travers bois, et
que la malfortune lui fait encontrer quelques misérables gueux, semblables à
ceux que j’ai croisés au retour de Marcuays l’autre jour,

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