L'avers et le revers
un
demi-sourire flottant sur ses lèvres.
— Miroul, commença-t-il, tu as pâti de la mort de tes
parents et des tiens, ce qui t’a fait chuter et quitter les chemins de la
droiture. La raison en est qu’il est dur d’être seul dans ce monde et que d’un
guide ou d’un maître on a souvent besoin.
— Vae soli [5] ! dit
Sauveterre en écho.
— Nous avons pensé, poursuivit Jean de Siorac, que tu
méritais la clémence et nous te mettons à l’épreuve. Si tu nous montres, par
ton action et ton dévouement, que nous ne nous sommes pas trompés sur ton
compte, tu seras des nôtres, l’étant déjà par la religion, ce que nous
interprétons comme un signe de Dieu lui-même.
— Oh, mes seigneurs ! m’écriai-je, comment
pourrais-je jamais vous dédommager de ce que vous faites !
Le baron sourit derechef et se leva. Il était assez
distinctement plus grand que moi et, comme il s’approchait de ma personne,
j’eus l’impression d’être un enfant qu’on sermonnait, lors que c’était de ma
vie dont il était question et que celle-ci n’avait pas pesé lourd à l’aube de
ce jour merveilleux où j’entrais au service des Siorac. Il alla jusqu’au
fenestrou de la pièce, regarda un instant au-dehors puis, se retournant,
s’accota à la petite ouverture, le coude sur le rebord en pierre ocre du pays.
— Tu nous dédommageras en nous restant fidèle. Et ce
n’est pas tout. Primo , je te mets sous les ordres de mon fils Pierre,
lequel t’a capturé et mérite bien cette récompense, et à qui tu feras office de
valet. Tu lui devras considération et obéissance, mais je n’ai nul doute que
Pierre, de par son autorité naturelle, saura se faire respecter maugré son
jeune âge. Je crains même qu’il n’en abuse. Secundo , tu seras également
au service de mon fils Samson, lequel est, bien au rebours de son frère, tout
de bonté et d’affabilité, insigne faiblesse qui le rend bien incapable de
diriger autrui. Mais je veillerai personnellement – entends-tu bien cela,
Miroul ? –, personnellement, à ce que tu ne profites de cette
situation où le valet peut s’emparer de son maître et inverser les rôles. Tu es
désormais, et tu resteras, à l’écoute de ce que tu devineras être les volontés
de Samson afin que de lui obéir en tout point comme un bon domestique.
Jean de Siorac fit une pause, lorgna un quart de seconde en
direction de Sauveterre, qui n’avait pas bougé pendant tout ce discours, assis
sur son escabelle, l’air imperscrutable, le buste droit, sa jambe infirme
allongée toute droite vers la gauche alors que l’autre était repliée sous lui.
Sa vêture noire, sa face longue et sombre – il était aussi brun que le
baron était blond –, son nez busqué et ses yeux noirs le faisaient ressembler
à un corbeau et on se serait presque attendu à l’entendre croasser plutôt que
de discourir en latin.
— Tertio, reprit le baron d’une voix forte, tu
aideras aussi au domaine pour tous les travaux collectifs, où chacun prête la
main, d’autant plus que tu connais la besogne : labours, foins, moissons
ou vendanges te sont tout sauf étrangers, et de ton expérience même, certains
céans pourront s’approfiter. Seuls te commanderont, en toutes circonstances,
Pierre ou Samson, et bien évidemment mon ami Jean de Sauveterre et moi-même à
qui tes jeunes maîtres doivent obéissance et respect filial.
Voilà, je crois, dans ce Tertio, ce qui subsistait du
désir initial de Sauveterre de racheter mes fautes par un exténuant et
incessant labeur sous les ordres et la volonté de tous. Du reste, à ce point,
Sauveterre soupira, comme pour montrer que ce Tertio était une bien pâle
copie de ce qu’il avait en réalité souhaité pour moi et pour ma rédemption. Il
n’ajouta rien, cependant, preuve qu’il s’était fait une raison de cette petite
affaire, se réservant probablement pour d’autres combats de plus grande
conséquence.
Pour autant, je dois avouer au lecteur que ce jugement, tout
de clémence et de bénignité, ne faisait pas de ma personne un homme désoccupé.
Car au service de deux maîtres, dont l’un effectivement se révéla plus exigeant
que l’autre, s’ajoutaient tout de même les travaux des champs qui, en certaines
saisons, vous prennent de la pique du jour jusqu’au crépuscule, sans loisir
aucun. Mais ceci n’est que réflexion de grincheux et mériterait d’être biffé de
la page d’un trait de plume car, à
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