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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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Coulondre
Bras-de-fer, avait ce jour d’hui apprécié la justice seigneuriale. Ce fut tout,
mais ce fut beaucoup pour moi, car je craignais prou de l’accueil céans des
gens de ma condition après avoir entrevu ce dont la Maligou était capable.
    Nous entrâmes dans la salle d’escrime, laquelle était aussi
vaste que possible pour permettre les assauts, où se précipiter en avant pour
placer une botte et rompre au contraire en arrière pour la parer exigent de
l’espace et du dégagement. Il y avait là Pierre, mais aussi son aîné François
ainsi que Samson, tous trois l’épée à la main, sous la direction et les ordres
du maître d’armes que je devinais être le nommé Cabusse.
    Le Cabusse en question était le troisième des soldats
ramenés dans leurs bagues par la frérèche – c’est ainsi que les deux Jean
aimaient à se désigner eux-mêmes – lors de la démobilisation suite aux
campagnes militaires dans la légion de Normandie. Il était fort différent des
deux autres car il maniait l’éloquence, aimant beaucoup à s’écouter, ne
s’embarrassant guère de précautions oratoires et parlant toujours à la franche
marguerite, même en s’adressant au baron, ce que celui-ci appréciait, c’est du
moins l’impression que j’eus souvent.
    Le jeune Siorac, quand il m’aperçut, me fit un petit signe
de la main gauche, et cette inattention se solda incontinent par une pointe au
cœur portée par Cabusse, ce qui sur l’instant me fit tressaillir de peur mais
je sus par la suite que les pointes des épées en étaient mouchetées pour éviter
tout navrement.
    — Capdedieu ! cria Cabusse. Voilà ce qui arrive
quand on n’est pas à son affaire, on meurt !
    Il ajouta sentencieusement :
    — Et on meurt sans même s’en rendre compte !
    Le jeune Siorac fut prou humilié par cette sévère
remontrance, surtout devant moi, je le cuide assez, qui avais été désigné comme
son valet, et le rouge lui zébra les joues. Il repartit derechef à l’assaut
avec une ardeur redoublée mais un peu brouillonne qui ne posait guère embarras
à Cabusse, lequel parait toutes ses attaques avec un calme et une nonchalance
qui m’impressionnèrent.
    Assis tranquillement dans un coin, je pus tout à loisir
suivre le déroulement de la leçon. Des trois frères, j’observai que Samson
était le plus grand et le plus athlétique, le plus fort aussi, solide sur ses
jambes, doté d’un poignet de fer que rien ne faisait plier. Avait-il hérité
cela de sa mère pastourelle, je ne saurais le dire, mais il y avait quelque
chose de différent en lui, qui émanait de la largeur de ses épaules, preuve
peut-être bien que le mariage de la noblesse et de la paysannerie donne de
beaux résultats. Il ne me sembla pas qu’il tirait profit de cet avantage physique
comme il aurait pu le faire car sa douceur et sa bonté étaient très
perceptibles jusque dans les assauts, se transformant en une sorte de lenteur
et de retenue assez irritante, qui l’empêchait de conclure même quand il
dominait l’échange.
    François montrait un très joli style, parant et rompant avec
grâce, mais il avait une si excessive prudence que lui non plus ne plaçait
jamais la botte décisive qui l’eût fait triompher, toujours à soigner sa
défense et négligeant l’attaque. Comme François et Samson tiraient ensemble ce
jour-là, le combat devenait vite ennuyeux à regarder, car au bout du compte, il
ne s’y passait rien qui fît vibrer le spectateur.
    Pierre avait une tout autre allure. Il n’était qu’attaque et
initiative, cherchant à faire mouche à tout coup, se fendant en avant, la
pointe tendue vers l’adversaire, se redressant comme un furieux, repartant
derechef, tentant mille bottes, suant à grosses gouttes, ne ménageant rien et
surtout pas sa peine ni son souffle pour être le vainqueur. De cette furia peu
contrôlée se dégageait l’image de l’audace et du courage, mais la défense
péchait par son inexistence et Cabusse, de temps à autre, lançait soudain sa
lame en avant et touchait, à la cuisse, au bras, à l’estomac, et à chaque fois
criait de plus belle :
    — Gardez-vous, crénom ! Gardez-vous ou je vous
tue !
    Parfois, Cabusse interrompait l’assaut et se mettait dans la
position de Pierre, se collant contre lui au botte à botte, lui saisissant le
poignet et maniant son épée, expliquant le meuvement de la lame et le
déplacement des pieds. Je les voyais ainsi se mouvoir comme

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