L'avers et le revers
jour peine encore à se distinguer de la nuit et nul ne sait ce qu’il faisait
lors que tout dormait encore à Mespech, sinon qu’il pouvait à l’occasion, dans le
charnier, surprendre des petits drôles comme votre serviteur en train de rober
une tranche de jambon ! Mais quand je m’éveillai le premier matin, je ne
pus que constater que sa place dans le lit était vide et que Samson, comme un
gros bébé, s’y étirait de tout son long en poussant de doux grognements.
Soulevant sa tête, les yeux encore gonflés, clignotant des paupières, il jeta
un regard vers la petite Hélix qui dormait profondément, puis m’aperçut et me
fit un sourire angélique.
— Miroul, me dit-il, le sommeil t’a-t-il été
favorable ?
— Ma foi, Moussu Samson, on dort mieux céans que dehors
dans l’humidité de la forêt.
Il me sourit derechef et je pus admirer la grande beauté du
bâtard, comme aimait à l’appeler François, lequel ne lui manifesta jamais beaucoup
d’estime ni d’amitié, au grand regret de Samson qui, dans sa grande bonté et
amour des autres, ne comprenait pas pourquoi. Car Samson est en tout point
celui que mon maître a décrit dans ses Mémoires, auxquelles je me reporte pour
en donner le portrait :
Samson, en premier lieu, est
beau, d’une beauté à éclairer les ténèbres ; ses cheveux, d’un blond de
cuivre bouclant jusque sur sa robuste encolure ; ses yeux, d’un bleu
azuréen ; son teint de lait ; ses traits harmonieux. Et je ne parle
ici que de son visage, et non point de son corps, qui devait devenir, avec les
ans, par sa virile symétrie, digne de la statuaire. Mais cette beauté encore
n’est rien, ni sa grâce ni ses infinis agréments. Ils ne sont que les visibles
symboles de l’âme qui habite cette enveloppe.
Si j’aime à rappeler ici ce portrait, c’est que je cuide
assez qu’on ne peut décrire et cerner mieux tant la beauté charnelle de Samson
que son essence morale, toute de bénignité, d’attention au prochain, d’humilité
et de modestie. À creuser un peu toutes ces hautes qualités, je crains hélas
qu’elles n’aient aussi constitué, dans la vie de Samson, un frein à de plus
grands projets ou à un dessein de plus noble envergure. C’est une chose que
j’ai apprise auprès de mon maître, à la cour du roi de France en particulier,
que pour combattre le mal où on l’encontre – et sur cette Terre, c’est en
tout lieu – il faut savoir mettre la main aux maniements des âmes et des
cœurs, ruser ou composer selon le besoin, et abattre l’adversaire avant qu’il
ne le fasse lui-même. Il faut aussi posséder au premier chef, pour parvenir au
succès dans de grandes et justes causes, des qualités qui faisaient grandement
défaut à Samson et qui sont tout le rebours des siennes : l’opiniâtreté,
la persévérance, la ténacité, et oser aussi prendre la place que l’on mérite.
Juste après cette belle description de Samson, je lis,
toujours dans les Mémoires de mon maître, que Cabusse – avec son
franc-parler coutumier – le jugeait gourd du cerveau en raison de son
comportement lent et inhibé une épée à la main et, tout comme mon maître, je
m’insurge contre cette opinion. C’est faire bien peu de cas des vraies qualités
chrétiennes que Samson possédait à plein que de dire cela ! Dans un monde
autre, qui oncques n’exista, mais qui demeure le but à atteindre pour notre
humanité, Samson était un précurseur, bien en avance sur nous autres, et sa
carence à faire du mal à autrui, sous quelque forme que ce soit, est à porter à
son crédit et non à sa charge.
Que François ne l’aimât pas, toujours me désola. Il y avait
là un refus de cet enfant surgi de nulle part, ramené un matin à Mespech par
Jean de Siorac, présenté comme leur frère aux autres fils, sans explication
aucune, et à qui on attribua illico le même nom qu’eux. Si Pierre n’y discerna pas
malice, il est vrai qu’il n’avait que trois ans à l’époque, François vécut la
chose à l’identique de sa mère Isabelle, laquelle se sentit prou humiliée par
cette présence quotidienne qui lui rappelait tout à la fois le péché, la
mésalliance, l’abandon, et constituait une insufférable personnification de
l’acte abominable que son mari eut avec une simple paysanne. Si Isabelle de
Siorac avait eu plus d’expérience de la vie, et des hommes surtout, elle aurait
su que certains ne peuvent être retenus, qu’ils
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